Cour d'appel, 11 février 1986, Société Saphir c/ Communauté Immobilière de Fontvieille Village.

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Abstract🔗

Procédure civile

Demande nouvelle en cause d'appel - Charges de copropriété réclamées pour la première fois en cause d'appel - Assimilation à des arrérages d'où absence de demande nouvelle

Résumé🔗

Les charges dues par les copropriétaires devant être considérées, en raison de leur périodicité, comme assimilées aux arrérages conformément à l'article 2097 du Code civil il s'ensuit qu'en cause d'appel une demande de paiement portant sur les charges dues au cours du nouvel exercice, qui n'a pu être formée en première instance, est recevable, une telle prétention ne constituant pas une demande nouvelle au sens de l'article 129 du Code de procédure civile applicable devant la Cour par l'effet de l'article 21 de l'ordonnance du 21 mai 1909 sur l'appel.


Motifs🔗

La Cour,

Statuant sur l'appel limité formé par la S.C.I. Saphir d'un jugement du Tribunal de première instance du 9 mai 1985 lequel, notamment, après avoir dit qu'elle n'était pas tenue au paiement des charges pour la période du 1er janvier au 7 avril 1983, évaluées par les parties à la somme de 77 573,83 francs :

1°) l'a condamnée à payer à la communauté immobilière Fontvieille Village 1re et 2e tranches (ci-après : La Communauté) la somme de 245 837,17 francs, avec intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 1984, correspondant aux provisions sur charges dues au titre de l'exercice 1984, et, en outre, celle de 8 000 francs à titre de dommages-intérêts,

2°) a déclaré régulière avec toutes conséquences de droit à concurrence du montant de sa créance en principal et intérêts l'hypothèque judiciaire provisoire inscrite à la requête de La Communauté le 6 novembre 1984 volume n° 164, n° 138 portant sur le lot n° 577,

3°) a débouté, faute de justifications, La Communauté de sa demande complémentaire en paiement de la somme de 64 762,67 francs correspondant au solde qui serait demeuré dû en début d'exercice 1984 ;

Statuant également sur l'appel incident de La Communauté ;

Considérant que les faits de la cause sont exactement rapportés au jugement entrepris auquel le présent arrêt, en tant que de besoin, se réfère expressément ;

Considérant que pour statuer ainsi qu'ils l'ont fait les premiers juges ont estimé :

  • qu'il résultait des pièces produites que La Communauté ne s'était pas acquittée des charges réclamées par le syndic au titre des provisions pour charges relatives à l'année 1984, soit 321 411 francs qu'elle était tenue de payer en vertu de l'article 14 du cahier des charges sauf régularisation à intervenir lors du décompte définitif,

  • que toutefois devait être déduite de cette somme celle de 77 573,13 francs, montant des charges dues pour la période du 1er janvier au 7 avril 1983 ; qu'il ressortait en effet d'une lettre émanant de l'étude de Maître Rey, notaire, que la S.C.I. Saphir, en procédant en janvier 1981, à l'acquisition d'un immeuble non encore achevé, avait convenu avec son vendeur, la S.C.I. Antimen, promotrice de l'immeuble, qu'elle serait redevable des charges à compter de son entrée en jouissance et qu'il était établi par les pièces du dossier et notamment par un constat de Maître Escaut-Marquet, huissier, du 7 avril 1983, que la remise des clés avait eu lieu à cette date,

  • que les réclamations partiellement justifiées mais intégralement insatisfaites de La Communauté avaient contraint celle-ci à s'adresser à justice pour recouvrer les fonds qui lui étaient nécessaires pour l'accomplissement de ses tâches et que, eu égard à la résistance abusivement opposée par la Société Saphir au paiement, à tout le moins partiel, des sommes qui ne pouvaient sérieusement faire l'objet de contestations et au préjudice, en particulier d'ordre financier qui en était résulté pour La Communauté, il y avait lieu d'allouer à cette dernière, à titre de réparation, la somme de 8 000 francs ;

Considérant que la Société Saphir qui déclare limiter son appel à ce seul chef du jugement entrepris soutient que c'est à tort qu'il a été jugé qu'elle avait résisté d'une manière abusive à la demande de La Communauté, en l'état de l'inexactitude flagrante des calculs effectués par le syndic et de la bonne volonté qu'elle a manifesté en proposant, dès le 26 novembre 1984, par une note en délibéré remise au magistrat des référés, de déposer entre les mains d'un séquestre la somme de 202 849,62 francs ; qu'elle conclut en conséquence à la réformation du jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à payer à La Communauté la somme de 8 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Considérant que La Communauté conclut à la confirmation de ce chef du jugement entrepris en soulignant que les autres copropriétaires ont dû faire l'avance des charges que la Société Saphir ne pouvait manquer de se savoir redevable ;

Considérant en outre, que par son appel incident La Communauté conclut à la réformation du jugement entrepris d'une part en ce qu'il l'a déboutée, faute de justifications, de sa demande en paiement de la somme de 64 762,67 francs, solde des charges qu'elle soutenait demeurer dues pour l'année 1983, d'autre part, en ce qu'il a décidé que les charges, pour la période allant du 1er janvier au 7 avril 1983 n'étaient pas dues par la Société Saphir qui n'avait pris possession des lieux qu'à la seconde de ces dates ;

Que, sur le premier point, elle indique qu'elle verse aux débats, en cause d'appel « le décompte exact » des charges dues au début de l'année 1984 faisant ressortir un solde de 64 762,67 francs ;

Que, sur le second point, elle fait valoir que s'il est exact que la remise officielle des clés s'est emplacée le 7 avril 1983, en réalité et ainsi qu'il résulte d'une attestation délivrée le 14 juin 1984 par la Société Antimen, la Société Saphir a occupé les lieux depuis le mois de novembre 1982 et se trouvait donc, dès le début de l'année 1983, redevable des charges relatives aux locaux qu'elle venait d'acquérir ;

Qu'enfin, ajoutant par son appel incident à sa demande initiale, elle demande la condamnation de la Société Saphir à lui payer la somme de 236 552 francs à titre de provision pour les charges de l'année 1985 et, refaisant un décompte complet des sommes qui lui seraient dues elle conclut, tout en prenant en considération un versement de 353 117 francs effectué le 25 juin 1985 par la Société Saphir, à la condamnation de ladite société à lui payer la somme de 278 889,32 francs pour le montant de laquelle elle demande que soit « validée » l'hypothèque judiciaire provisoire inscrite le 6 novembre 1984 sur le lot n° 577 ;

Considérant que la Société Saphir soutient en réplique, que l'appel incident de La Communauté est irrecevable en raison, d'une part, de sa tardiveté et, d'autre part, de l'effet dévolutif de l'appel en vertu duquel la Cour n'a été saisie, en temps voulu, que du seul problème concernant la condamnation au paiement de dommages-intérêts ;

Que par ailleurs, elle soutient que la demande de La Communauté tendant au paiement des avances sur les charges de l'année 1985 est également irrecevable comme nouvellement formée en cause d'appel ;

Sur quoi,

Sur l'appel principal de la Société Saphir :

Considérant que c'est à juste titre que les premiers juges, après avoir relevé que la résistance abusive de la Société Saphir à la demande de paiements des charges formée par La Communauté avait entraîné pour cette dernière un préjudice distinct du retard apporté au paiement des sommes dues, ont condamné la Société Saphir à verser à La Communauté la somme de 8 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Qu'il échet en conséquence de confirmer de ce chef le jugement entrepris, étant au surplus relevé que la Société Saphir ne peut arguer de sa bonne foi dès lors que saisie par le syndic, les 15 mars et 1er juillet 1984, de deux appels de fonds d'un montant, chacun, de 161 705,50 francs, elle s'est abstenue de payer quelque somme que ce soit et que ce n'est que dans les derniers jours de l'année qu'elle a, dans le but d'obtenir la mainlevée d'une mesure conservatoire, offert de consigner la somme de 202 000 francs, ce qui ne l'a pas empêchée ultérieurement de soutenir devant le juge du fond que la demande de La Communauté était « totalement injustifiée » ;

Sur l'appel incident de La Communauté :

Considérant que l'appel incident est recevable, sans condition de délai, en tout état de cause et qu'aucune disposition de la loi n'interdit à l'intimé d'étendre la saisine de la Cour en répondant à un appel limité par un appel général ;

Qu'il échet en conséquence de déclarer recevable l'appel incident de La Communauté et de l'examiner ;

Considérant que les premiers juges ont débouté La Communauté de sa demande tendant au paiement de la somme de 64 762,17 francs qu'elle soutenait lui être due à titre de « solde » des charges pour l'année 1983 - en ce non comprise la période antérieure au 7 avril de la même année - aux motifs que ladite demande n'étant pas autrement explicitée ou justifiée par les pièces versées au dossier, ils n'étaient pas mis à même d'en apprécier le bien-fondé ;

Considérant que devant la Cour La Communauté indique, par ses conclusions du 12 novembre 1985, qu'elle « verse aux débats le décompte exact des charges arriérées dues par l'appelante pour l'année 1983 » ;

Considérant toutefois qu'une telle pièce ne figure ni au dossier de La Communauté ni à celui de son adversaire et qu'il n'en est pas fait mention sur les récépissés de communication de pièces jointes auxdits dossiers ;

Qu'il échet en conséquence de confirmer également de ce chef le jugement entrepris ;

Considérant, sur la somme de 73 573,13 francs réclamée par La Communauté au titre des charges dues pour la période allant du 1er janvier au 7 avril 1983, que les moyens développés en appel ne font que réitérer sans justifications complémentaires ceux dont les premiers juges ont connu et auxquels ils ont répondu par des motifs exacts que la Cour adopte ;

Qu'il échet en conséquence, de confirmer encore de ce chef le jugement entrepris ;

Sur les demandes nouvelles formées par La Communauté :

Considérant que l'article 129 du Code de procédure civile déclaré applicable à l'appel des jugements de première instance par l'article 21 de l'ordonnance sur l'appel du 21 mai 1909 édicte :

« Il ne sera formé en cause d'appel aucune demande nouvelle, à moins qu'il ne s'agisse de compensation ou que la demande nouvelle ne soit la défense à l'action principale.

Pourront aussi les parties demander les intérêts, arrérages, loyers et autres accessoires échus depuis le jugement de première instance, et des dommages-intérêts pour le préjudice souffert depuis ledit jugement » ;

Considérant que La Communauté forme deux demandes nouvelles, la première tendant à voir porter, après décompte définitif, de 245 837,17 francs à 253 117,82 francs le montant de la condamnation, afférente aux charges de l'année 1984, prononcée par les premiers juges, la seconde portant sur le paiement de la somme de 236 552 francs à titre d'avances sur les charges de l'année 1985 ;

Considérant que la première de ces demandes doit être déclarée recevable comme constituant l'accessoire de la demande principale tendant au paiement des charges pour l'année 1984 ; qu'elle n'est contestée ni dans son principe, ni dans son montant et qu'il échet dès lors d'adjuger de ce chef, à La Communauté, le bénéfice de sa demande ;

Considérant que la seconde de ces demandes doit être également déclarée recevable ;

Qu'en effet les charges dues par les copropriétaires doivent être, au sens de l'article 129 du Code de procédure civile, considérées comme des arrérages dont elles revêtent la périodicité, « tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts » étant du reste assimilé aux arrérages par l'article 2097 du Code civil ;

Considérant que l'intérêt pratique d'une telle interprétation de l'article 129 du Code de procédure civile est évident, le créancier se trouvant ainsi dispensé de retourner devant les premiers juges pour faire statuer sur une demande dont le principe a déjà été admis par la Cour ;

Considérant qu'en l'espèce ni le principe ni le montant de la créance invoquée par La Communauté ne sont contestés par la Société Saphir et qu'il échet dès lors, de ce chef, d'adjuger à La Communauté le bénéfice de sa demande ;

Considérant toutefois que pour ladite somme de 236 552 francs les intérêts au taux légal ne seront dus qu'à compter du 12 novembre 1985, jour de la demande ;

Considérant enfin qu'il y a lieu de préciser que les sommes ci-avant énoncées comme devant être payées par la Société Saphir à La Communauté - à savoir, 253 117,82 francs avec intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 1984 et 236 552 francs avec intérêts au taux légal à compter du 12 novembre 1985, ne sont dues que sous déduction de l'acompte de 353 117 francs versé par la Société Saphir le 25 juin 1985 et que doit être ordonnée la radiation de l'hypothèque judiciaire provisoire inscrite à la requête de La Communauté le 6 novembre 1984, volume n° 164, n° 138 portant sur le lot n° 577 dès lors que la créance, définitivement fixée à la somme de 253 117,82 francs avec intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 1984, pour la garantie de laquelle a été prise cette mesure conservatoire, s'est trouvée nécessairement éteinte par le versement de l'acompte ci-avant relevé de 353 117 francs ;

Qu'en effet une mesure conservatoire ne saurait survivre à la créance pour la garantie de laquelle elle a été autorisée ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

et ceux non contraires des premiers juges,

La Cour d'appel,

Déclare recevables les appels principal et incident interjetés contre le jugement du 9 mai 1985 ainsi que les demandes nouvelles formées, en cause d'appel, par la Communauté Fontvieille Village, 1re et 2e tranches ;

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la Communauté Fontvieille Village, 1re et 2e tranches de ses demandes en paiements des sommes de 64 762,17 francs et 73 573,13 francs, condamné la S.C.I. Saphir à payer à ladite communauté la somme de 8 000 francs à titre de dommages-intérêts, dit que les sommes dues par la S.C.I. Saphir au titre des charges afférentes à l'année 1984 porteraient intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 1984 et condamné ladite société aux dépens de première instance ;

Réforme pour partie le jugement entrepris et statuant à nouveau :

  • élève de 245 837,17 francs à 253 117,82 francs le montant des sommes dues au titre des charges afférentes à l'année 1984 par la Société Saphir et la condamne en conséquence à payer ladite somme de 253 117,82 francs à La Communauté,

  • ordonne en tant que de besoin la radiation de l'hypothèque judiciaire provisoire inscrite à la requête de La Communauté le 6 novembre 1984, volume n° 164, n° 138 portant sur le lot n° 577 ;

Et ajoutant au jugement entrepris, condamne la S.C.I. Saphir à payer à La Communauté la somme de 236 552 francs, avec intérêts au taux légal à compter du 12 novembre 1985 ;

Dit que les condamnations pécuniaires ci-avant sont prononcées sous déduction de l'acompte de 353 117 francs versé le 25 juin 1985 à La Communauté par la Société Saphir ;

Composition🔗

MM. Vialatte, prem. prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMes Sbarrato et Karczag-Mencarelli, av. déf.

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