Cour d'appel, 8 janvier 1985, Époux Z. et a. c/ B. L. et Ministère Public.

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Abstract🔗

Intérêt pour agir

Défaut d'intérêt. Irrecevabilité de l'action. Invocation du moyen à tout moment de la procédure.

Droit de préemption du locataire

Limite. Nécessité d'occuper le local.

Résumé🔗

La règle « pas d'intérêt, pas d'action » constitue une fin de non-recevoir liée au fond pouvant être soulevée à toute hauteur de la procédure et pour la première fois en appel qui ne revêt pas un caractère d'ordre public.

La finalité de l'article 40 de l'ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959 sur les loyers d'habitation est de permettre au locataire, en cas de vente de l'immeuble ou du local par lui occupé, de s'en porter acquéreur aux mêmes conditions ; il s'ensuit que le locataire qui n'occupe qu'une partie de l'immeuble mis en vente ne peut préempter sinon il réaliserait une opération immobilière sans rapport avec la protection des droits découlant de son titre exclusif que le législateur a entendu lui assurer.


Motifs🔗

LA COUR,

Statuant sur l'appel interjeté par les époux Z. et autres, unis d'intérêt, d'un jugement du Tribunal de première instance du 1er mars 1984 lequel les a déboutés de leur demande tendant à exercer leur droit de préemption sur un immeuble mis en vente par leur bailleur, B. L., après avoir dit et jugé que l'article 40 de l'ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959 était inapplicable en l'espèce et déclaré en conséquence de nul effet la notification « d'exercice du droit de préemption » formée suivant exploit de Maître Escaut-Marquet, huissier, en date du 19 août 1983 ;

Considérant qu'il ressort des éléments de la cause que B. L., propriétaire d'un immeuble sis à Monaco, dont la vente était par lui envisagée a, le 11 août 1983, fait connaître dans les formes légales, conformément aux prescriptions de l'ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959, aux locataires et occupants de cet immeuble, afin de leur permettre d'exercer leur droit de préemption, les conditions auxquelles la vente était prévue (soit pour le prix de 3 500 000 frs dont 1 500 000 francs devaient être payés comptant et le solde de 2 millions de francs converti en une rente viagère et annuelle à son bénéfice de 120 000 francs indexée, L. conservant en outre, ainsi que sa belle-sœur, la jouissance des appartements qu'ils occupent respectivement dans ledit immeuble) ;

Que le 19 août suivant les locataires de l'immeuble, aujourd'hui appelants, ont signifié à L. et au notaire en l'étude duquel la vente devait être passée, leur intention d'exercer le droit de préemption aux conditions envisagées ;

Que par jugement en date du 2 novembre 1983, B. L. a été, à la requête du Ministère public, pour d'un administrateur judiciaire en application de l'article 410-19 du Code civil en la personne d'A. M. ;

Considérant que B. L. et A. M. ayant déclaré s'en remettre à la sagesse du tribunal après avoir évoqué l'éventualité d'une mesure expertale tendant à l'évaluation de l'immeuble cédé, les premiers juges, pour débouter les époux Z. et les autres locataires de leur demande, ont estimé :

  • que l'interprétation restrictive donnée par les juridictions de la Principauté à l'article 40 de l'ordonnance loi n° 669 du 17 septembre 1959 accordant au locataire ou à l'occupant un droit de préemption sur l'immeuble ou le local loué au cas de cession à titre onéreux conduisait à n'admettre l'exercice d'un tel droit que lorsque la location portait sur l'ensemble des droits cédés,

  • qu'il ressortait des éléments du dossier que seuls huit appartements sur les onze que compte l'immeuble appartenant à L. étaient loués et occupés à ce titre par les demandeurs ; qu'en effet, outre un magasin qui apparaissait libre de tout occupant, les locaux occupés par B. L. et sa belle-sœur, dame Veuve V. L., auxquels s'ajoutait un appartement libre de tout occupant n'avaient pas fait l'objet d'une location au profit des demandeurs ou de l'un d'entre eux,

  • qu'en conséquence, le rapport à justice des défendeurs équivalant à une contestation de la demande, il ne pouvait être reconnu aux demandeurs le droit de préemption par eux invoqué, lequel ne pouvait être détourné de sa finalité consistant à ne permettre à un locataire de se porter acquéreur que de l'intégralité du bien par lui occupé et non point d'acquérir un bien non occupé par lui en totalité ;

Considérant que les appelants font grief aux premiers juges d'avoir statué ainsi qu'ils l'ont fait alors que, selon eux :

  • la jurisprudence invoquée serait inapplicable en l'espèce, aucune contestation n'ayant été soulevée par le sieur L. sur le principe du droit de préemption et tous les locataires de l'immeuble ayant manifesté leur intention d'exercer ce droit globalement,

  • que l'examen de l'article 40 de l'ordonnance-loi n° 669 qui prévoit : « en cas de cession à titre onéreux de l'immeuble ou du local loué il est accordé au locataire ou à l'occupant un droit de préemption » établit que l'intention du législateur n'a pas été d'interdire l'exercice du droit de préemption à l'occasion de la vente d'un immeuble collectif car il n'aurait alors envisagé l'exercice du droit qu'en cas de vente d'un « immeuble », ces deux termes impliquant nécessairement deux situations différentes :

  • soit un « local loué » à un seul occupant qui bénéficie à ce titre du droit de préemption,

  • soit un « immeuble » loué à différentes personnes qui, dès lors, se voient reconnaître la même possibilité si elles acceptent les conditions de la vente ;

Qu'en décider autrement reviendrait à limiter l'effet des dispositions de l'article 40 au droit de préemption exercé soit sur des villes, soit sur des appartements faisant partie d'une copropriété ;

  • le sieur L., en déclarant s'en remettre à la sagesse du tribunal n'a pas contesté la demande de ses locataires et qu'en tout état de cause, il n'avait pas d'intérêt à le faire puisque l'exercice de leur droit de préemption par ses locataires lui assurait les mêmes avantages que la vente consentie à un seul acquéreur, défaut d'intérêt que, même d'office, le Tribunal aurait dû relever ;

  • en définitive, le seul problème soulevé par le sieur M., administrateur civil du sieur L., concerne la valeur vénale de l'immeuble considéré, question qui pourrait être tranchée par voie d'expertise ;

Considérant que les appelants concluent en conséquence ainsi qu'il suit :

« Dire et juger que les appelants ont exercé dans les délais leur droit de préemption » ;

« Dire et juger que la jurisprudence invoquée par le Tribunal dans le jugement entrepris, savoir le jugement du 25 février 1982 et l'arrêt du 31 mai 1983, est sans intérêt dans les débats comme visant un problème totalement différent » ;

« Dire et juger que les dispositions de l'article 40 de l'ordonnance-loi 669 prévoit que le droit de préemption en cas de cession à titre onéreux peut s'exercer soit sur l'immeuble, soit sur le local loué et que ces deux termes démontrent que l'exercice de ce droit n'est pas limité au cas où il n'y aurait qu'un seul occupant, car, dans ce cas, la loi ne ferait référence qu'au local loué et non à l'immeuble » ;

« Dire et juger que le sieur L. ne s'est pas opposé à l'exercice du droit de préemption des appelants et que, d'ailleurs, en vertu du principe » pas d'intérêt, pas d'action « il eût, dans cette hypothèse appartenu à la juridiction saisie de soulever d'office une fin de non recevoir » ;

« Réformer, en conséquence, la décision entreprise » ;

« Et, à titre subsidiaire, le seul problème soulevé par le sieur M., administrateur judiciaire du sieur L. dans ses conclusions concernant la valeur vénale de l'immeuble considéré, donner acte aux appelants de ce qu'ils ne s'opposent pas à ce qu'une mesure d'expertise soit ordonnée de ce chef » ;

Sur ce :

Considérant que c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que le rapport à justice du défendeur constitue une contestation de la demande et non pas un acquiescement de ladite demande ;

Considérant par ailleurs que la sanction du défaut d'intérêt à agir est l'irrecevabilité de la demande et que la règle « pas d'intérêt, pas d'action » ne peut en conséquence être invoquée contre le défendeur ;

Considérant au surplus qu'une telle règle qui édicte une fin de non recevoir liée au fond, si elle peut être soulevée à toute hauteur de la procédure et pour la première fois en appel, n'est pas d'ordre public ; qu'en conséquence, et contrairement à ce que soutiennent les appelants dont l'argumentation doit être écartée de ce chef, elle n'aurait pas eu, à supposer qu'elle eût été applicable, à être soulevée d'office par la juridiction saisie ;

Considérant que, ainsi que les premiers juges l'ont retenu à juste titre, le but de l'article 40 de l'ordonnance-loi n° 669 est de permettre au locataire, en cas de vente de l'immeuble ou du local par lui occupé, de s'en porter acquéreur aux mêmes conditions ; qu'admettre le contraire reviendrait en effet à permettre à un locataire qui n'occupe qu'une partie de l'immeuble mis en vente de réaliser une opération immobilière sans rapport avec la protection des droits découlant de son titre exclusif que le législateur a entendu lui assurer ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que les appelants ne sont pas locataires ou occupants de la totalité de l'immeuble sur lequel ils entendent exercer un droit de préemption ;

Qu'il échet en conséquence de les débouter de leur appel et de confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

et ceux non contraires des premiers juges,

Déboute les époux Z. et autres de leur appel et confirme en toutes ses dispositions le jugement du 1er mars 1984 ;

Les condamne à l'indemnité prévue par la loi et aux dépens de la présente instance et en ordonne la distraction au profit de Maître Lorenzi, avocat-défenseur, sur son affirmation qu'il en a avancé la plus grande partie.

Composition🔗

MM. Merqui, vice-prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Marquilly et Lorenzi, av. déf. ;

Note🔗

Le pourvoi en révision a été rejeté par arrêt de la Cour de révision du 9 octobre 1985.

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