Cour d'appel, 4 décembre 1984, Dame L. c/ Dame M. et autres.

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Abstract🔗

Caution

Engagement de caution solidaire - Violation de l'article 1854 du Code civil (non) - Procuration. Acte sous seing privé - Application de l'article 1173 du Code civil (non) - Acte authentique non application de l'article 1173 du Code civil - Portée de l'action récursoire de la caution - Article 1872 du Code civil une autre caution - Contribution de celle-ci à la dette dans la proportion de ses intérêts dans une société

Résumé🔗

L'acte de procuration qui ne contient pas une véritable promesse unilatérale du mandant, lequel ne peut être engagé que par le contrat conclu ensuite par le mandataire agissant en vertu des pouvoirs qui lui ont été conférés, n'est pas soumis à la formalité du « bon pour » prescrite par l'article 1173 du Code civil.

Les actes notariés étant des actes authentiques ne sont pas soumis aux dispositions de l'article 1173 du Code civil.

Faute par le contrat de cautionnement de prévoir expressément que les parts de chacune des cautions soient égales entre elles et non proportionnelles à l'intérêt de chacune au paiement de la dette, il convient de rechercher au regard de l'intérêt de l'article 1872 du Code civil, si l'intérêt de la caution qui a acquitté celle-ci était, comme elle l'affirme, moindre que celui de ses co-obligés.


Motifs🔗

La Cour,

Considérant qu'il ressort des pièces produites par les parties la relation suivante des faits et de la procédure :

Suivant acte reçu les 31 octobre et 2 novembre 1976 par Maître Queruel, Notaire à Pacy-sur-Eure, la Société Anonyme Service International ayant comme Président directeur général Dame A. L. a obtenu de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de l'Eure et de la Caisse Locale Rurale de Crédit Agricole de l'Eure un crédit jusqu'à concurrence de 1 200 000 francs en principal, destiné à financer ses besoins d'équipement et de fonctionnement et ce sans limitation de durée et avec un taux d'intérêts variable selon la nature et la catégorie des prêts ;

En garantie du montant de cette ouverture de crédit, en principal, intérêts, frais et accessoires, Dame G. B. veuve M. et Dame J. M. épouse H. se sont constituées cautions simplement hypothécaires de la société « Service International » en affectant des biens immobiliers dont Dame Veuve M. avait l'usufruit et Dame J. H. la nue-propriété, tandis que A. H., Dame A. L. et Dame R. B. Veuve L. s'obligeaient envers la Société « Service International » comme, en tant qu'associés, cautions solidaires, en renonçant aux bénéfices de division et de discussion ;

A cet acte de cautionnement solidaire auquel elles n'avaient point comparu, Dame A. L. et Dame R. B. étaient représentées par A. H. qui avait reçu de leur part, suivant acte sous seing privé du 28 octobre 1976 le pouvoir ainsi libellé de :

« Rendre et constituer les constituantes, cautions et répondant solidaire, conjointement avec H., leur mandataire, de la S.A. dénommée » Service International « ... envers la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de l'Eure et la Caisse Locale Rurale de Crédit Agricole Mutuel de l'Eure, pour garantie du remboursement de la somme de 1 200 000 francs et du paiement des intérêts et accessoires de ladite somme, que lesdites caisses doivent consentir à la S.A. » Service International «, pour le temps, au taux et sous les charges et conditions qu'il jugera convenables - Faire toutes déclarations nécessaire - Renoncer aux bénéfices de division et de discussion et obliger les constituantes au remboursement du montant de l'ouverture de crédit en question... » ;

La Société « Service International » a été déclarée en l'état de règlement judiciaire par jugement du Tribunal de Commerce d'Évreux en date du 24 avril 1980 ;

A la suite de la saisie immobilière des biens hypothéqués, en garantie du remboursement de leur créance, à laquelle elles ont fait procéder, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de l'Eure et la Caisse Locale Rurale de Crédit Agricole de l'Eure ont poursuivi la vente forcée des immeubles saisis ; Celle-ci est intervenue le 6 novembre 1980 ; A la suite de cette vente sur adjudication la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel recevait une somme de 1 106 208,03 francs ; Compte tenu de cet encaissement le reliquat de la dette de la Société Service International s'élevait au 30 janvier 1981 à : 1 213 589,77 francs ;

Estimant être fondée à réclamer à Dame Veuve R. L., la somme de 646 291,47 francs, somme englobant les intérêts et frais réclamés sur un prêt de 150 000 francs, Dame J. M., épouse H., après y avoir été autorisée par Ordonnance du 14 janvier 1982, a pratiqué une saisie arrêt à l'encontre de Dame Veuve R. L. entre les mains de la Banque Nationale de Paris pour avoir garantie de cette créance ;

Suivant exploit d'huissier du 21 janvier 1982 contenant saisie arrêt Dame J. M. épouse H. a assigné Dame R. B. Veuve L. et la Banque Nationale de Paris aux fins de condamnation au paiement de la somme susvisée outre les intérêts et les frais et de déclaration du tiers-saisi ;

Dans ses conclusions du 5 janvier 1983, la demanderesse, rectifiant sa demande primitive, a ramené le montant de celle-ci à la somme de 314 429,07 francs représentant d'une part la moitié du prêt cautionné de 150 000 francs, outre la moitié des intérêts réclamés par le Crédit Agricole (18 187,47 francs), d'autre part en ce qui concerne le prêt de 1 200 000 francs le cinquième de la somme perçue par le Crédit Agricole sur la réalisation de l'hypothèque

1 106 208,13 Frs

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Dame Veuve L. a contesté cette demande en soutenant que Dame H. ne justifiait pas avoir payé au Crédit Agricole le montant du prêt de 150 000 francs en qualité de caution, alors que par assignation du 16 février 1982 le Crédit Agricole poursuivait le paiement de cette somme à son encontre, d'autre part que la demanderesse n'établissait pas les circonstances dans lesquelles elle aurait été amenée à effectuer le paiement invoqué, compte tenu du fait que le Crédit Agricole qui aurait obtenu l'extinction de la moitié de sa créance, a fait l'objet d'une assignation du syndic de la Société Service International tendant à le voir condamner à supporter le passif de la Société ;

Dame Veuve L. formait une demande reconventionnelle en paiement d'une somme de 1 F de dommages-intérêts en réparation de son préjudice ;

Par jugement du 29 juillet 1983 le Tribunal de première instance rejetant la demande en paiement concernant le prêt de 150 000 francs au motif que la preuve de son remboursement n'était pas rapportée, a condamné Dame Veuve L. à payer la somme de 221 241,60 francs représentant le cinquième de la somme de 1 106 208,03 francs en tenant compte de l'existence de 5 cautions ; a validé la saisie arrêt pratiquée le 21 janvier 1982 ; a débouté Dame Veuve L. de sa demande reconventionnelle et a condamné celle-ci aux dépens ;

Par exploit d'huissier du 18 novembre 1983 Dame Veuve L. a interjeté appel de cette décision et a assigné Dame J. M. épouse d'A. H. et la Société Banque Nationale de Paris aux fins d'infirmation de ladite décision et de déboutement de Dame M. ;

Dans ses conclusions du 12 juin 1984 Dame Veuve L. invoque la nullité de la procuration et de l'engagement de cautionnement souscrit par elle faute de contenir les mentions manuscrites exigées impérativement par les articles 1854 et 1173 du Code civil ;

Subsidiairement elle soutient, en constatant que la proportion et l'étendue de l'engagement initial de chacune des cautions ne sont pas clairement exprimées, que la proportion et l'étendue de ses obligations par rapport aux autres débiteurs doit se faire selon les règles de l'article 1872 du Code civil ; que ne détenant que 4 actions sur 1 000 de la S.A. Service International elle s'est fondée à demander à la Cour d'être exonérée de toute contribution personnelle au paiement de la dette compte tenu du fait que les intérêts personnels de Dame L. dans la survie de la Société étaient très nettement inférieurs à ceux de la famille H. représentée par J.-P. H., à savoir 99 % pour cette dernière et 0,4 % pour elle ;

Elle sollicite la condamnation de l'intimée aux entiers dépens avec distraction au profit de son avocat-défenseur ;

Répondant à l'intimée, Dame Veuve L. dans ses conclusions en réplique du 13 novembre 1984 reprend ses moyens exposés plus haut en observant que l'exécution par H. de son mandat est entachée des mêmes causes de nullité que celui-ci, ce qui conforte en tous points la nullité du prétendu cautionnement souscrit par Dame L. ;

Que s'il est exact que A. H. a renoncé au bénéfice de division et de discussion au profit du Crédit Agricole, cette renonciation ne saurait nullement profiter aux autres cofidéjusseurs ; qu'elle est donc parfaitement fondée à demander la répartition du paiement de la dette à concurrence seulement de sa part et portion correspondant à ses parts sociales dans la Société Service International ;

L'intimée dans ses conclusions du 17 janvier 1984 conclut à la confirmation du jugement entrepris et à l'octroi de la somme de 10 000 francs de dommages-intérêts pour procédure abusive ; elle prétend que c'est à juste titre que Dame Veuve L. a été condamnée à payer le cinquième de la somme de 1 106 208,03 francs montant de l'adjudication, les co-obligés étant chacun pour leur part, tenus au remboursement, en vertu de l'article 1869 du Code civil ;

Dans ses conclusions du 13 novembre 1984 Dame H. fait observer que l'acte de procuration est suffisamment explicite et détaillé, qu'y figure la signature de Dame L. précédée de la mention manuscrite « Bon pour pouvoir » ; qu'il est loisible de constater qu'en cautionnant le prêt, tant en son nom qu'en celui de son mandant, H. a accompli le mandat dont il était chargé ; que même si le mandataire commet une faute dans l'exécution d'engagements pris pour le compte du mandant, ce dernier se trouve engagé par sa faute ; qu'il fait valoir que Dame Veuve L. par l'intermédiaire de son mandataire a renoncé expressément aux bénéfices de division et de discussion ;

La Société B.N.P., tiers-saisi, s'en rapporte à sa déclaration affirmative antérieure ;

Sur ce :

Sur la nullité de la procuration et de l'engagement de cautionnement

a) Sur la violation de l'article 1854 du Code civil

Considérant que l'acte sous-seing privé du 28 octobre 1976 par lequel Dame Veuve R. L. et Dame A. L. ont donné procuration à A. H. de se constituer en leurs noms caution solidaire de la Société Service International exprimait d'une façon explicite la nature et l'étendue de l'obligation à laquelle les mandants entendaient s'engager ; qu'il y était précisé que le cautionnement à contracter, devait garantir le remboursement d'une somme de 1 200 000 francs outre les intérêts et accessoires de celui-ci provenant d'une ouverture de crédit consentie par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de l'Eure et la Caisse Locale Rurale de Crédit Agricole de l'Eure et ce pour le temps, au taux d'intérêts et sous les charges et conditions que les prêteurs jugeront convenables ;

Que c'est donc en parfaite connaissance de cause que les Dames L. ont conféré le mandat de signer en leur nom un engagement de cautionnement suffisamment déterminé au point de vue de la nature des dettes garanties et de leur montant ;

Considérant que dans l'acte notarié du 31 octobre et 2 novembre 1976 sous le titre : « Cautionnement des associés » l'engagement de cautionnement des Dames L. représentées par le mandataire, correspondait exactement au contenu du mandat donné ;

Considérant qu'il n'apparaît pas dans ces conditions, tant en ce qui concerne la procuration que l'engagement de caution solidaire contenu dans l'acte notarié, qu'il y ait eu violation de l'article 1854 du Code civil lequel dispose « le cautionnement de se présume point, il peut être exprès, et on ne peut pas l'étendre au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté » ;

b) Sur la violation de l'article 1173 du Code civil

Considérant que l'article 1173 du Code civil dispose : « Le billet ou la promesse sous seing privé par lequel une seule partie s'engage envers l'autre à lui payer une somme d'argent ou une chose appréciable, doit être écrit en entier de la main de celui qui l'a souscrit ; ou du moins il faut qu'outre sa signature, il ait écrit de sa main un bon ou un approuvé, portant en toutes lettres la somme ou la quantité de la chose » ;

Que de ce texte se dégagent quatre conditions cumulatives subordonnant l'application de la formalité du « bon pour » : 1 - l'acte doit être sous seing privé - 2 - il doit contenir une promesse unilatérale - 3 - l'engagement doit avoir pour objet une somme d'argent ou une quantité - 4 - il ne doit pas être entièrement écrit de la main du souscripteur ;

Considérant qu'en ce qui concerne la procuration, il convient tout d'abord d'observer que le « bon pour pouvoir » précédant la signature des mandants n'a que la valeur d'une pratique dépourvue de fondement juridique et ne saurait être assimilé à la formalité du « bon pour » institué par l'article 1173 du Code civil ;

Considérant que l'acte sous seing privé qui constitue la procuration ne contient pas une véritable promesse unilatérale, étant donné que, si le mandant peut être engagé, ce n'est que par le contrat que conclura ensuite le mandataire agissant en vertu des pouvoirs qui lui ont été conférés et non point par le mandant lui-même ;

Qu'ainsi l'acte de procuration échappe à la deuxième condition de l'article 1173 du Code civil ;

Considérant en ce qui concerne l'acte notarié des 31 octobre et 2 novembre 1976 établissant l'ouverture de crédit, ainsi que les cautionnements hypothécaires et personnels, que s'agissant d'un acte authentique au sens de l'article 1164 du Code civil, il en résulte que la formalité de l'article 1173 du Code civil ne saurait lui être applicable ;

Considérant dans ces conditions que le moyen de nullité tiré de l'article 1173 du Code civil n'est point fondé aussi bien au regard de la procuration que de l'acte notarié d'engagement de caution ;

Sur la portée de l'action récursoire de Dame H.

Considérant qu'en l'état de la pluralité de cautions réelles et personnelles il n'est point contestable que Dame J. H. dispose, en ce qui concerne le prix de l'adjudication 1 106 208,03 francs provenant de la vente de l'immeuble saisi, d'un recours contre chacune des autres cautions ainsi que le prévoit l'article 1872 du Code civil lequel dispose : « Lorsque plusieurs personnes ont cautionné un même débiteur pour une même dette, la caution qui a acquitté la dette a recours contre les autres cautions, chacune pour sa part et portion », étant précisé que les trois cautions personnelles qui avaient la qualité d'associés étaient entre elles solidaires et que le contrat ne stipulait pas la solidarité entre les cautions réelles et personnelles ;

Considérant que le contrat de cautionnement ne prévoyait point expressément que les parts de chacune des cautions soient égales entre elles et non proportionnelles à l'intérêt de chacune au paiement de la dette, il convient de rechercher, au regard de l'article 1872 du Code civil susvisé, si l'appelante rapporte la preuve de sa prétention selon laquelle ses intérêts personnels dans l'existence de la Société Anonyme Service International étaient très nettement inférieurs à ceux de la famille H. ;

Considérant qu'il apparaît des pièces versées aux débats que la famille H. composée de A. H. époux de Dame J. M. caution hypothécaire, de J.-P. H., fils de ceux-ci et E. H. possédaient dans la Société Anonyme « Service International » la quasi totalité des actions (987) ; qu'ainsi, ce qui n'est pas contesté, à lui seul J.-P. H. en avait 967 tandis que Dame Veuve L. n'en avait que 4 ; que dans ces conditions Dame J. M. épouse d'A. H. et mère de J.-P. H. avait un intérêt à affecter en garantie du prêt consenti à la Société Service International, l'immeuble dont elle était nue-propriétaire - donc celui vendu sur adjudication - d'autant que J.-P. H. ne s'était pas porté caution personnelle ; qu'en raison de la différence très sensible entre la situation de la caution réelle Dame H. et celle de la caution personnelle (Dame Veuve L.), il serait inéquitable que cette dernière soit soumise à un systématique partage égalitaire par parts viriles ce qui favoriserait, à son détriment, le groupe familial H. ; qu'il ne ressort nullement des éléments de la cause que les intérêts des co-obligés aient été identiques ; qu'il est conforme aux dispositions de l'article 1872 du Code civil que Dame Veuve L. ne contribue à la dette que proportionnellement à la fraction de capital social qu'elle détient ce qui traduit la réalité de ses intérêts très limités dans cette affaire ;

Considérant que le fait que Dame Veuve L. ait renoncé au bénéfice de division est sans incidence dans les rapports entre les cofidéjusseurs ;

Considérant que l'article 1869 du Code civil ne saurait recevoir application en l'espèce à défaut de co-débiteur principal solidaire ;

Considérant qu'il s'en suit que Dame J. H. dans le cadre de son action récursoire se trouve fondée à réclamer seulement à la Dame Veuve L. 4 pour mille du prix d'adjudication soit la somme de 4 424,83 francs ;

Considérant que la saisie arrêt pratiquée par Dame J. H. doit être validée jusqu'à concurrence de ladite somme ;

Considérant qu'il ressort de ce qui précède que la demande en dommages-intérêts formée par l'intimée n'est pas justifiée ;

Considérant qu'il échet de faire masse des dépens et de les partager, ainsi qu'il est dit au présent dispositif, en raison de la succombance partielle des deux parties ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Déclare recevable l'appel interjeté par Dame R. B., Veuve L. à l'encontre du jugement du 29 juillet 1983 ;

Dit et juge que la procuration donnée par Dame Veuve L. et l'acte d'engagement de cautionnement qu'elle a souscrit ne sont point entachés de nullité ;

Réformant le jugement entrepris ;

Dit que le recours exercé par Dame J. M. épouse H. à l'encontre de Dame Veuve R. L. se trouve limité à la proportion des actions que celle-ci détenait dans la S.A. Service International ;

Condamne en conséquence Dame Veuve R. L. à payer à Dame J. H. la somme de 4 424,83 francs avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Valide la saisie arrêt pratiquée entre les mains de Dame Veuve R. L. jusqu'à concurrence seulement de la somme de 4 424,83 francs ;

Déboute Dame J. H. de sa demande en dommages-intérêts ;

Composition🔗

MM. Vialatte, prem. prés. ; Merqui, vice-prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Boisson, Boeri et Marquet, av. déf.

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