Cour d'appel, 4 décembre 1984, Dame E. c/ Sieur P. M.

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Abstract🔗

Exequatur

Décision d'un bâtonnier français article 18 de la Convention franco-monégasque d'aide mutuelle Judiciaire - Décision d'un bâtonnier français rendue exécutoire par ordonnance du Président du tribunal de grande instance - Client de l'avocat défaillant (non) - Réclamation d'une lettre recommandée

Résumé🔗

Il ne saurait dépendre de l'attitude d'une partie d'empêcher de courir le délai d'un recours par son refus d'entrer en possession de la lettre recommandée lui notifiant la décision.

Il doit être inféré de l'article 10 de la Convention relative à l'aide mutuelle judiciaire entre la France et la Principauté de Monaco en date du 21 septembre 1949, qu'il n'est point interdit d'user de la notification par voie postale lorsque leur législation le permet.

L'article 18 de la Convention franco-monégasque susvisée définit le rôle de contrôle seulement imparti à la juridiction saisie d'une demande d'exequatur.


Motifs🔗

La Cour,

Considérant qu'il ressort des pièces produites la relation suivante des faits et de la procédure :

Maître P. M., avocat à la Cour d'appel d'Aix-en-Provence qui a assuré la défense des intérêts de Dame O. E. à l'occasion de litiges opposant celle-ci à son ex mari, devant les juridictions monégasques, a en application de l'article 98 du décret français n° 72-468 du 9 juin 1972 organisant la profession d'avocat, soumis sa réclamation de frais et d'honoraires concernant sa cliente au Bâtonnier de l'Ordre des Avocats du Barreau d'Aix-en-Provence lequel les a fixés à la somme de 80 000 francs par décision du 29 juillet 1982 ; celle-ci ayant été rendue exécutoire par ordonnance sur requête du 29 septembre 1982 prononcée par le Président du Tribunal de Grande Instance d'Aix-en-Provence le 30 septembre 1982 ;

Se prévalant de ces deux décisions Maître P. M. a assigné Dame O. E. devant le Tribunal de première instance de Monaco aux fins de les entendre déclarer exécutoire dans la Principauté de Monaco en application de la convention franco-monégasque d'aide mutuelle judiciaire en date du 21 septembre 1949, rendue exécutoire sur le territoire de la Principauté par Ordonnance souveraine du 2 décembre 1949 ;

Dame E. s'est opposé à cette demande en soutenant que les honoraires réclamés n'étaient justifiés ni dans leur principe ni dans leur montant et en invoquant la nullité de la décision dont l'exéquateur est poursuivie ;

Par jugement du 24 novembre 1983 le Tribunal a déclaré exécutoires en Principauté de Monaco, dans toutes leurs dispositions, la décision du Bâtonnier et l'Ordonnance présidentielle et a condamné Dame E. aux dépens avec distraction au profit de son Avocat-défenseur ;

Suivant exploit d'huissier du 20 janvier 1984 Dame E. a interjeté appel de cette décision et assigné Maître M. devant la Cour d'appel ;

Dans ses conclusions des 10 avril et 26 juin 1984 l'appelante a fait valoir sans reprendre le moyen tiré de la contestation du principe et du montant des honoraires que la demande aux fins d'exequatur de la décision française était contraire aux dispositions de l'article 18 de la convention franco-monégasque d'aide mutuelle judiciaire en territoire français du fait qu'elle n'avait jamais été personnellement touchée par une quelconque convocation du Bâtonnier de l'Ordre et qu'elle n'avait pas eu connaissance de la décision de celui-ci jusqu'à la procédure d'exequatur et qu'elle n'avait pu ainsi former opposition et présenter ses moyens de défense ; que la décision rendue en France par défaut ne revêt pas de caractère définitif, le délai de huit jours pour faire opposition ne commençant à courir non pas à partir du dépôt de l'acte en Mairie mais du jour où la partie condamnée a eu connaissance de la décision et de la signification ;

Que Maître M. ne versait au débat aucun document prouvant l'accomplissement des formalités susvisées ;

L'intimé dans ses conclusions du 29 mai et 11 septembre 1984 a demandé la confirmation du jugement entrepris en prétendant que les règles instituées par les articles 97 et suivants du décret français n° 72-468 du 9 juin 1972 avaient été respectées ; qu'il résultait des éléments de la cause que Dame E. n'avait pas retiré volontairement les lettres recommandées avec accusé de réception qui lui avaient été adressées et invoquait ensuite sa propre turpitude et son dol ;

Sur ce :

Considérant que l'objet de l'instance doit se trouver circonscrit dans le cadre d'une procédure d'exequatur ce qui exclut l'examen de toute contestation qui toucherait au principe et au montant de la créance dont se prévaut Maître M. ;

Considérant que la Convention franco-monégasque d'aide mutuelle judiciaire, définit le rôle de contrôle seulement imparti à la juridiction saisie d'une demande d'exequatur, dans son article 18 lequel dispose :

  • les jugements et sentences arbitrales exécutoires dans l'un des deux pays seront déclarés exécutoires dans l'autre par le tribunal de première instance du lieu où l'exécution doit être poursuivie.

Le Tribunal vérifiera seulement :

1° si, d'après la loi du pays où a été rendue la décision dont l'exécution doit être poursuivie, l'expédition qui en est produite réunit les conditions nécessaires à son authenticité,

2° si, d'après la même loi, cette décision émane d'une juridiction compétente,

3° si, d'après cette loi, les parties ont été régulièrement citées,

4° si, d'après cette loi, le jugement est passé en force de chose jugée,

5° si les dispositions dont l'exécution est poursuivie n'ont rien de contraire à l'ordre public ou aux principes de droit public du pays où l'exequatur est requis ;

I. - Considérant que la production en photocopie de la décision du 29 juillet 1982 émanant du Bâtonnier de l'Ordre des Avocats d'Aix-en-Provence et de l'expédition de l'Ordonnance Présidentielle du 30 septembre 1982, laquelle donne force exécutoire à la décision susvisée, ne donne pas lieu à contestation ; que ces documents comportent toutes mentions qui en assurent leur authenticité notamment : nom et signature du Bâtonnier, nom et signature du Président du Tribunal de grande instance d'Aix et de son Secrétaire-Greffier ;

II. - Considérant qu'en vertu de l'article 98 du décret français du 9 juin 1972 le Bâtonnier de l'Ordre des Avocats saisi à la demande d'un avocat ou d'une partie a compétence pour fixer en cas de contestation le montant des frais et honoraires d'un avocat ; que sa décision qui doit être notifiée par le Secrétariat de l'Ordre aux intéressés par lettre recommandée avec avis de réception, vaut décision juridictionnelle et peut être frappée d'un recours devant le Président du Tribunal de grande instance dans le mois de la notification laquelle doit comporter mention de ce délai ; qu'aux termes de l'article 102 du même décret lorsque la décision prise par le Bâtonnier n'a pas été déférée au Président du Tribunal de grande instance, elle peut être rendue exécutoire par Ordonnance de ce dernier à la requête soit de l'Avocat soit de la partie ;

Qu'ainsi les décisions querellées relèvent bien d'organes compétents - ce qui n'est point contesté le rôle de conseil de Maître M. s'étant exercé à Aix-en-Provence pour une cliente demeurant à Monaco ;

III. - Considérant que Dame E. soulève des irrégularités qui tiendraient à l'absence de convocation devant le Bâtonnier et à l'absence de notification de la décision de ce dernier ;

a) Considérant que la décision du Bâtonnier du 29 juillet 1982 fait état de l'envoi d'une lettre le 2 mars 1982 à Dame E. aux fins de porter à sa connaissance la demande de Maître M. et de recueillir ses observations ainsi que de l'absence de réponse et d'observations de ladite Dame E. ;

Qu'au regard des dispositions de l'article 98 du décret français le Bâtonnier n'était nullement tenu de convoquer Dame E. et de l'entendre encore qu'il en ait manifesté l'intention vainement, ce texte disposait : « le Bâtonnier, s'il le juge utile, entend préalablement l'avocat et la partie » ; qu'ainsi cette décision apparaît comme l'aboutissement d'une procédure régulièrement diligentée ;

b) Considérant que sur la question de savoir si la décision a bien été régulièrement notifiée à Dame E., il y a lieu de relever que l'ordonnance présidentielle du 30 septembre 1982 porte la mention marginale approuvée de paraphes : « Vu les pièces produites et, notamment les photocopies des enveloppes des lettres recommandées avec demande d'avis de réception portant la mention » non réclamé " ; que les documents visés ne peuvent que se rapporter aux deux lettres recommandées avec avis de réception des 29 juillet et 3 septembre 1982 adressées aux fins de notification à Dame E. et non réclamées par elle dont fait état la requête du 29 septembre 1982, présentée par Maître M. en application de l'article 102 du décret français ;

Qu'au surplus le Président du Tribunal de Grande Instance ne pouvait rendre exécutoire la décision du 29 juillet 1982 qu'après avoir constaté la date de la notification et l'absence de recours dans le mois suivant celle-ci, ce qu'il n'a pas manqué de faire ; que par ailleurs Maître M. produit la lettre recommandée avec avis de réception que lui a adressée le Secrétariat de l'Ordre le 29 juillet 1982 aux fins de lui notifier comme il devait en être également pour Dame E. la décision rendue le même jour fixant ses honoraires et frais ;

Considérant qu'il apparaît que les considérations susvisées suffisent à établir la preuve de la réalité de la notification faite à Dame E. et de son abstention volontaire à retirer les lettres recommandées ce qui l'a privée de l'exercice d'un recours ;

Qu'en effet il ne saurait dépendre de l'attitude d'une partie d'empêcher de courir le délai d'un recours par son refus d'entrée en possession de la lettre recommandée lui notifiant la décision ;

Considérant qu'il doit être inféré de l'article 10 de la Convention relative à l'aide mutuelle judiciaire entre la France et la Principauté de Monaco, lequel permet la signification directe d'actes dans les deux pays par les soins d'officiers ministériels qu'il n'est point interdit d'user de la notification par voie postale lorsque leur législation la prévoit ;

Considérant que le moyen invoqué par l'appelante quant à l'exercice de la voie de l'opposition et du point de départ de celle-ci ne saurait être retenu, la décision du Bâtonnier ayant été rendue dans le cadre de la procédure spécifique instituée par le décret français du 9 juin 1972 et non point dans celui d'une instance monégasque ayant abouti à un jugement de défaut ;

Considérant qu'il est nullement établi, dans ces conditions, qu'il y ait eu une violation des droits de la défense au détriment de Dame E. ;

IV. - Considérant qu'il s'ensuit que la décision du 29 juillet 1982 régulièrement notifiée, est passée en force de chose jugée, faute d'avoir fait l'objet d'un recours devant le Président du Tribunal de première instance d'Aix-en-Provence dans le délai d'un mois prévu à l'article 99 du décret susvisé ;

V. - Considérant enfin que les dispositions de la procédure française relative au droit des avocats, à leur rémunération et au recouvrement de celle-ci ne sont nullement contraires à l'ordre public monégasque alors qu'il existe en Principauté des règles sinon identiques du moins comparables instituées par l'article 27 de la loi n° 1047 du 28 juillet 1982 sur l'exercice de la profession d'avocat-défenseur et d'avocat ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

et ceux non contraires des premiers juges,

Déclare recevable l'appel interjeté par Dame O. E. à l'encontre du jugement rendu le 24 novembre 1983 ;

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Composition🔗

MM. Vialatte, prem. prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Lorenzi et Marquet, av. déf. Brugnetti, av.

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