Cour d'appel, 7 novembre 1983, C. D. c/ L. C.

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Abstract🔗

Accident du travail (trajet) - Droits de l'assureur-loi et de la victime

Identité des principes découlant des dispositions de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 régissant à Monaco la matière des Accidents du Travail et de l'article L. 470 du Code français de la Sécurité sociale (non). Droit pour l'assureur-loi de poursuivre le remboursement intégral des prestations par lui servies à la victime au titre des indemnités mises par la loi à la charge de l'employeur (oui). Portée de l'article 13 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958. Limitation du recours de l'employeur au capital indemnisant l'I.P.P. appréciée en Droit commun si le taux fixé dans le cadre de l'accident du travail est supérieur (non). Limitation du droit de la victime à une indemnisation qui lui serait propre au seul cas où la créance accident du travail serait inférieure à l'évaluation du préjudice dans les termes du droit commun (non).

Résumé🔗

Contrairement au principe restrictif énoncé par l'article L. 470 du Code français de la Sécurité Sociale, la législation monégasque consacre le droit pour l'assureur-loi de poursuivre le remboursement intégral des prestations par lui servies à la victime au titre des indemnités mises par la loi à la charge de l'employeur sur le tiers auteur entièrement responsable de l'accident ; celui-ci doit en outre indemniser la victime des dommages non couverts par la loi sur les accidents du travail.


Motifs🔗

La Cour,

jugeant correctionnellement,

Statuant sur l'appel relevé par C. D. d'un jugement du Tribunal Correctionnel rendu sur les intérêts civils, en date du 28 juin 1983, lequel, après avoir reçu la Compagnie d'Assurances U.A.P., assureur-loi de la société des Bains de Mer, employeur du sieur L. C., en son intervention volontaire, a condamné ledit C. à payer à ce dernier une somme de 25 000 francs, provision déduite, avec intérêts au taux légal à compter du jugement précité, d'autre part à la compagnie U.A.P., prise en sa qualité d'assureur-loi, la somme de 279 311,88 francs avec intérêts au taux légal à compter de la même décision, a condamné en outre C. aux frais,

Considérant qu'il résulte des éléments de la cause, la relation suivante des faits et de la procédure :

Le 2 mai 1980, le sieur L. C., employé des jeux à la S.B.M. à Monaco, était victime d'un accident de trajet occasionné par C. D., footballeur professionnel à l'A.S.M. Monaco ;

Par jugement du Tribunal correctionnel en date du 10 février 1981, devenu définitif, C. était déclaré entièrement responsable des conséquences dommageables dudit accident et condamné à payer une somme de 3 000 francs à titre de provision, le docteur Boiselle à Monaco étant désigné à l'effet d'examiner la victime et de déterminer son préjudice ;

Aux termes du rapport de cet expert déposé le 17 janvier 1982, il apparaissait que les blessures subies par L. avaient entraîné une I.T.T. du 2 mai 1980 au 18 décembre 1980 et du 14 avril 1981 au 30 juin 1981, qu'il subsistait une I.P.P. dont le taux était fixé à 10 %, que le pretium doloris était considéré comme moyen et le préjudice esthétique qualifié de modéré, qu'enfin, un préjudice d'agrément pour le ski à titre temporaire était à estimer par le Tribunal ;

En cet état et par exploit du 4 mars 1983, L. assignait C. en homologation du rapport d'expertise précité et réclamait, sous déduction de la provision déjà versée, une somme totale de 111 255,06 francs en réparations, toutes causes confondues, du préjudice subi à l'occasion de l'accident litigieux, et ce outre, une somme de 1 200 francs représentant des honoraires d'expertise dont il avait fait l'avance ;

La Compagnie U.A.P. assureur-loi de l'employeur de L. intervenait volontairement aux débats pour réclamer à C. paiement d'une somme de 281 326,88 francs montant des indemnités, frais, arrérages de rente échus et capital constitutif de la vente viagère servie par elle à la victime, ledit C. offrant, quant à lui, de payer audit assureur-loi une somme de 201 587,57 francs, représentant selon lui le quantum du préjudice, évalué en droit commun, souffert par la victime ;

Pour statuer ainsi qu'ils l'ont fait, les premiers juges après avoir relevé que le rapport du docteur Boiselle n'avait fait l'objet d'aucune critique sérieuse de la part des parties et procédé en conséquence à son homologation, ont estimé :

  • sur l'I.T.T., qu'eu égard aux pièces versées aux débats par L., le préjudice de ce chef devait être fixé à la somme de 61 255,06 francs représentant le complément de salaire non perçu par lui durant les 2 périodes d'incapacité ;

  • sur l'I.P.P., qu'il n'y avait pas lieu de statuer de ce chef dès lors que L. qui, dans son assignation avait déclaré percevoir une rente accident de travail et ne réclamer aucune indemnité supplémentaire de ce chef, ne formulait pas de demande d'indemnisation pour l'I.P.P. dont il demeurait atteint, laissant le soin à l'assureur-loi de son employeur de réclamer le remboursement des sommes versées en réparation de ce poste de préjudice ;

  • sur le pretium doloris, que l'offre par C. d'une indemnité de 7 000 francs était insuffisante au regard des éléments fournis de ce chef par le rapport d'expertise, lesquels justifiaient l'allocation d'une somme de 20 000 francs ;

  • sur le préjudice esthétique, que les cicatrices consécutives aux blessures subies par L. étaient d'une nature et d'une importance telles qu'elles caractérisaient un préjudice devant être réparé par l'allocation d'une somme de 5 000 francs ;

  • sur le préjudice d'agrément, inhérent à la privation momentanée de la pratique de ski, qu'il convenait de l'évaluer à 3 000 francs ;

Rappelant enfin le droit pour l'assureur-loi d'obtenir, conformément à l'article 13 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958, le remboursement de l'intégralité des indemnités légales versées à la victime sans qu'il y ait lieu de limiter le montant de ce remboursement à l'évaluation en droit commun du préjudice à propos duquel il était inexactement ajouté « calculé ci-dessus », le tribunal estimait, après avoir fixé à 279 311,88 francs le total des indemnités légales versées par l'assureur-loi, que le remboursement de cette somme à la Compagnie U.A.P. devait être effectué par C., tiers responsable, par imputation prioritaire sur l'indemnisation revenant à L., exceptée toutefois l'indemnisation demeurant en propre à la victime au titre du pretium doloris, du préjudice esthétique et du préjudice d'agrément ;

A l'appui de son recours, l'appelant fait valoir que :

1° contrairement à ce qui est énoncé dans leur décision, les premiers juges n'ont pas effectué - alors qu'ils étaient selon lui tenus de le faire - un calcul du préjudice « droit commun » dans sa globalité notamment en s'abstenant de chiffrer l'indemnité compensatrice de l'I.P.P. ainsi que les frais médicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation ;

2° c'est à tort que le tribunal, sans effectuer un tel calcul, a alloué à L. des indemnités devant lui demeurer propres au titre du pretium doloris et des préjudices esthétique et d'agrément, alors qu'il s'évince du paragraphe 1er de l'article 13 de la loi 636 du 11 janvier 1958 que la victime ne peut recevoir une indemnisation qui lui serait propre que dans l'hypothèse où la créance accident du travail serait inférieure à l'évaluation du préjudice dans les termes du droit commun ;

3°le préjudice en droit commun ne pouvant trouver sa base d'évaluation dans un système légal de prévoyance sociale, c'est également sans droit que les premiers juges ont statué de telle sorte que l'indemnisation calculée conformément à la loi sur les accidents du travail pourrait être opposable au tiers responsable, auteur de l'accident alors que l'allusion aux règles du droit commun dans le corps de l'article 13 de la loi 636 implique une autonomie des régimes d'indemnisation excluant pour la victime d'un accident de trajet la possibilité d'en cumuler financièrement le bénéfice ;

Estimant que la décision entreprise manque partant de base légale et soutenant à nouveau que la réparation dans les termes du droit commun ne saurait excéder la somme de 201 585,57 francs, il demande à la Cour de dire et juger, par réformation de ladite décision, qu'il y a lieu d'évaluer tous les chefs de préjudice en droit commun, de constater qu'en l'espèce l'indemnisation selon la loi sur les accidents du travail excède le montant de l'indemnisation en droit commun en sorte qu'aucun chef de ce préjudice ne saurait donner lieu à quelque réparation que ce soit, de déclarer satisfactoire son offre de payer à l'assureur-loi la somme de 201 585,57 francs et de débouter L. et la Compagnie U.A.P. de leurs prétentions contraires ou plus amples ;

L. qui conclut à la confirmation, en son principe, du jugement déféré, demande par voie d'appel incident que lui soient allouées, au titre du pretium doloris, la somme de 25 000 francs, au titre du préjudice esthétique, celle de 15 000 francs et enfin au titre du préjudice d'agrément la somme de 10 000 francs ;

De son côté, la Compagnie d'Assurances U.A.P. agissant en qualité d'assureur-loi de la « Société des bains de mer » employeur de L., conclut également à la confirmation du jugement entrepris ;

Le ministère public, déclare, quant à lui, s'en rapporter à sagesse ;

Sur ce :

Considérant qu'à la lecture des écritures de l'appelant, il apparaît que son argumentation tend, bien vainement à faire juger, que des dispositions de la loi 636 du 11 janvier 1958 régissant à Monaco la matière des accidents du travail s'évincent des principes comparables à ceux édictés par le Code français de la Sécurité sociale et notamment son article L. 470 aux termes duquel « si la responsabilité du tiers auteur de l'accident est entière ou si elle est partagée avec la victime, la caisse est admise à poursuivre le remboursement des indemnités mises à sa charge à due concurrence des indemnités mises à la charge du tiers » ;

Or, considérant que contrairement au principe restrictif ainsi énoncé en droit français, la législation monégasque consacre le droit pour l'assureur-loi de poursuivre le remboursement intégral des prestations par lui servies à la victime au titre des indemnités mises par la loi à la charge de l'employeur ;

Qu'en effet, en disposant que « si la responsabilité du tiers auteur de l'accident est entière l'indemnité qui sera allouée exonérera l'employeur des indemnités mises à sa charge », cette indemnité devant comporter en cas d'I.P.P. une rente ou des rentes égales à celles fixées par la loi augmentées, s'il y a lieu, des allocations majorations qu'elle prévoit, l'article 13 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 exclut par là même toute possibilité de limiter le recours dudit employeur au capital indemnisant l'I.P.P. appréciée en droit commun si le taux fixé dans le cadre de l'accident du travail est supérieur et ce, ainsi qu'il a déjà été définitivement jugé par la Cour de Céans (arrêt du 21 février 1972. Rejet du pourvoi par arrêt du 3 octobre 1972 de la Cour de Révision, et arrêt du 10 mai 1977) ;

Qu'il s'ensuit d'une part qu'étant recevable et fondée, en vertu de la loi, à réclamer le remboursement de toutes les sommes par elle avancées en sa qualité d'assureur-loi, la compagnie U.A.P. dont il est expressément reconnu que la créance accident du travail est supérieure à l'évaluation du préjudice en droit commun de la victime, ne saurait se voir opposer par l'appelant, tiers responsable, une quelconque limitation au quantum de son recours à rencontre de ce dernier, d'autre part que c'est à bon droit que les premiers juges, après avoir constaté que la victime ne réclamait rien car ayant été remplie de ses droits par l'attribution d'une rente, du chef de l'I.P.P. et ayant été remboursée de tous les frais médicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation par elle exposés, ont estimé inutile de procéder à une évaluation, selon les termes du droit commun, du montant global du préjudice causé par l'accident litigieux et retenu, pour statuer sur le recours de l'assureur-loi, que le montant des indemnités légales mises à la charge de ce dernier s'élevait au vu des justifications produites, à la somme de 279 311,88 francs ;

Considérant que le principe, en vertu duquel le tiers auteur entièrement responsable doit en outre indemniser la victime des dommages non couverts par la loi sur les accidents du travail, ayant été de même consacré par la jurisprudence précitée de la Cour de Céans, il apparaît que c'est encore à bon droit que les premiers juges, après avoir pertinemment énoncé que le remboursement de la somme susvisée à la Compagnie U.A.P. devait être effectué par C., tiers responsable, par imputation prioritaire sur les indemnités revenant à L., exceptées celles lui demeurant en propre au titre du pretium doloris et des préjudices esthétique et d'agrément, ont condamné ledit C. à payer à la victime, provision de 3 000 francs déduite, la somme de 25 000 francs qui répare équitablement de ces chefs le préjudice subi, l'affirmation par l'appelant que la victime ne peut recevoir une indemnisation qui lui serait propre que dans l'hypothèse où la créance accident du travail serait inférieure à l'évaluation du préjudice en droit commun étant, au regard du droit monégasque, aussi péremptoire qu'injustifiée ;

Considérant qu'il échet en conséquence de confirmer dans toutes ses dispositions le jugement entrepris et de condamner l'appelant aux frais ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Et ceux non contraires des premiers juges ;

La Cour,

Déboute C. D. des fins de son appel ;

Confirme dans toutes ses dispositions le jugement entrepris du 28 juin 1983 et dit qu'il sortira son plein et entier effet ;

Composition🔗

MM. Y. Merqui, prés. ; H. Rossi, J. Ambrosi, cons. ; Mme Picco-Margossian, prem. subst. proc. gén. ; MMe J.Ch. Marquet, Hélène Marquilly et Clerissi, av. déf.

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