Cour d'appel, 6 mai 1980, D. épouse T. c/ Société Interop.

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Abstract🔗

Reçu ou quittance sous seings privés

Titre de créance de plein droit opposable à son signataire (non) - « Valeur intrinsèque » d'un reçu appréciée de façon abstraite (non)

Résumé🔗

Un reçu ou « quittance » ne saurait constituer par lui-même et par la seule vertu de ce que l'appelante considère comme sa « valeur intrinsèque » un titre de créance le rendant de plein droit opposable à son signataire, dès lors que n'étant qu'un mode de preuve d'un versement de fonds générateur d'obligation s'il matérialise un prêt ou de libération s'il constate un remboursement, sa valeur ne peut être appréciée in abstracto mais seulement en contemplation de l'acte juridique dont il est censé constater l'existence.


Motifs🔗

La Cour,

Attendu que le 11 mars 1966, devant Maître Wargny, notaire à Colombes, qui en dressait acte authentique, la société civile immobilière de construction . reconnaissait devoir à la Société civile particulière par actions, de droit monégasque, Société Interop, la somme de 1 500 000 francs, pour prêt de pareille somme versée hors la vue et la comptabilité dudit notaire, et s'engageait à la restituer dans un délai de trois ans, soit le 11 mars 1969, ladite somme devant produire intérêts au taux de 9% l'an ;

Que le remboursement de ce prêt était garanti par l'affectation, à titre de sûreté hypothécaire, d'un immeuble appartenant à la société emprunteuse ;

Attendu que le 22 novembre 1968, les sieurs G., C. et G., associés de la société Interop, décidaient, en l'état des difficultés judiciaires du sieur P. T., dont ils devaient reconnaître ultérieurement qu'ils étaient les prête-noms, de dissoudre par anticipation ladite société et désignaient d'un commun accord le sieur B., déjà administrateur provisoire des biens dudit T., en qualité de liquidateur et lui remettaient les cessions en blanc des parts dont ils étaient les propriétaires apparents ;

Attendu qu'après avoir pris ses fonctions et par lettre recommandée du 17 septembre 1970, B. réclamait à dame T., gérante de la société ., remboursement du prêt constaté le 11 mars 1966 sans pour autant obtenir satisfaction en sorte que par exploit Avalla, huissier à Paris en date du 23 mars 1972, il faisait notifier à la S.C.I. ., commandement d'avoir à payer la somme de 2 471 450 francs représentant le montant en principal du prêt dont s'agit augmenté des intérêts jusqu'au 11 mars 1972 et de l'indemnité de 3 % constitutive de la clause pénale contractuellement prévue ;

Attendu que ce commandement étant également demeuré sans effet, B. portait sa demande de remboursement devant le Tribunal de grande instance de Paris qui, par jugement du 2 juin 1973, l'en déboutait, motif pris que la société défenderesse versait aux débats un reçu d'un montant de 1 500 000 francs, établi sur papier à en-tête de la société Interop et signé par les sieurs C. et G., administrateurs de cette société, et que ce reçu devait être tenu pour valable bien que ne comportant aucune date et qu'aucune trace de remboursement du prêt litigieux n'ait été relevée dans les comptes de la société Interop ;

Que B. ayant relevé appel de cette décision, un arrêt infirmatif de la Cour d'appel de Paris en date du 16 avril 1975 faisait droit à sa demande en estimant, d'une part, que le reçu opposé par la société . à son créancier pouvait d'autant moins constituer la preuve régulière et incontestable de la prétendue libération, qu'il avait été établi au nom de dame T. prise à titre personnel et non en sa qualité de gérante de la société précitée et que partant rien ne permettait d'affirmer que cette personne n'avait pas entendu régler une dette qui lui était propre, d'autre part qu'outre le fait que ladite dame T. ne s'était pas présentée comme ayant voulu régler une dette contractée à titre personnel, le reçu dont s'agit ne comportait pas l'indication de la cause du prétendu versement de fonds si bien qu'il n'était pas permis d'affirmer que dame T. ait entendu rembourser le prêt constaté par l'acte du 11 mars 1966 à l'exclusion de toute autre dette de la société . ; que ladite Cour considérait encore qu'en l'absence de toute indication de date, et alors que la validité de l'opération de libération dépendait nécessairement de la date à laquelle elle avait été passée - puisque cette date devait être antérieure à l'entrée en fonction de B. es qualités - c'était bien à la société . qui se prétendait libérée de rapporter la preuve de la date de son « reçu » et, par voie de conséquence, la preuve qu'elle avait bien valablement payé entre les mains de celui qui avait seul qualité, à ce moment, pour recevoir les fonds et en délivrer quittance, preuve qui n'était ni rapportée ni même simplement offerte ; qu'enfin, selon l'arrêt dont s'agit, tout permettait de conclure à la fictivité de la prétendue opération de remboursement du prêt litigieux ;

Attendu qu'un pourvoi introduit par dame T., ès qualités, ayant été rejeté par arrêt de la Cour de cassation du 5 janvier 1977 et l'arrêt susvisé de la Cour de Paris étant ainsi passé en force de chose jugée, dame T., agissant à titre personnel et suivant exploit du 18 janvier 1978, n'en assignait pas moins la société Interop, représentée par son administrateur judiciaire B., devant le Tribunal de première instance de Monaco, aux fins d'entendre dire et juger que le reçu établi sous la signature de deux administrateurs de ladite société était légalement et juridiquement opposable tant à celle-ci qu'à son liquidateur amiable, ès qualité, et ce, à toutes fins de droit qu'elle aviserait, étant observé que devait intervenir, en l'état, une transaction souscrite le 2 mars suivant par les parties et aux termes de laquelle B. consentait à suspendre la poursuite de la vente judiciaire de l'immeuble n° 9 . tout en conservant le bénéfice de l'inscription hypothécaire, et transigeait à concurrence de 1 million de francs immédiatement versés par dame T., sur les intérêts échus du prêt, les parties convenant par avance de la subordination du sort de la dette en principal et de la poursuite de la licitation entreprise à la décision à intervenir de la juridiction monégasque saisie aux fins d'apprécier la validité du reçu litigieux ;

Attendu que par jugement en date du 17 mai 1979, rendu au contradictoire du sieur P. D., régulièrement intervenu aux débats par conclusions en date du 23 mars 1979 en qualité de liquidateur et administrateur judiciaire de la société Interop substitué au sieur P. B., démissionnaire, le Tribunal de première instance a débouté dame T. des fins de son assignation motifs pris qu'en l'état de l'identité des moyens par elle invoqués successivement devant les juridictions parisiennes et monégasques, elle ne pouvait raisonnablement supposer qu'à propos de l'application de principes juridiques d'une parfaite similitude en droit monégasque et en droit français, il serait statué sur son assignation du 18 janvier 1978 d'une manière radicalement opposée à celle de l'arrêt de la Cour de Paris du 16 avril 1975 confirmé par arrêt de la Cour de cassation du 5 janvier 1977 et ce, alors surtout que le reçu litigieux est dénué de toute valeur probante, que l'absence de date et de cause en démontre la fictivité, que les déclarations des administrateurs C. et G. établissent que dame T. a, sans vergogne, utilisé en la circonstance un blanc-seing qui avait été remis à ces derniers par son mari dont ils étaient les prête-noms et qu'enfin si le prêt consenti par Interop avait été remboursé, la S.C.I. . n'eût pas manqué, concomitamment, d'obtenir la radiation de l'hypothèque grevant son immeuble ou, tout au moins, la restitution de la grosse constatant cette hypothèque ;

Attendu que par acte du 27 juillet 1979, dame T. a relevé appel de ladite décision ;

Qu'elle fait grief aux premiers juges de s'être mépris sur la portée véritable de la demande dont ils étaient saisis, de ne pas s'être prononcés sur le litige qui leur était soumis et d'avoir, en outre, substitué des considérations de pur fait à la rigueur des principes juridiques dominant la matière et spécialement aux règles régissant la preuve des actes sous seings privés ;

Qu'elle soutient notamment que la procédure engagée devant le Tribunal de Monaco était en réalité d'une nature différente de celle qui avait été soumise aux juridictions parisiennes, puisque tendant simplement à ce qu'il soit statué sur une question que n'avait pas tranchée la Cour d'appel de Paris, et qui était celle de la valeur du reçu par elle détenu à titre personnel et partant de son droit de créance contre la société Interop ; que l'absence de date et de cause ne saurait démontrer la fictivité de ce reçu en l'état des règles particulières applicables aux quittances et des dispositions des articles 1169 et 1170 du Code civil relatives aux actes sous seings privés ; que les déclarations des administrateurs de la société Interop ne sauraient rien établir à l'encontre de l'écrit que constitue le reçu dont s'agit conformément aux dispositions de l'article 1188 du Code civil relatif à la preuve littérale ; que l'imputation qui lui est faite d'avoir utilisé un blanc seing prétendument remis par lesdits administrateurs à son mari apparaît sans fondement en l'absence de caractérisation suffisante au vœu de la loi de ce délit pénal que B., ès qualités, s'est d'ailleurs abstenu d'invoquer ; qu'enfin le défaut de radiation de l'hypothèque garantissant le prêt ou de restitution de la grosse constatant cette hypothèque peut d'autant moins lui être opposé qu'aux termes de l'article 1996 du Code civil, les inscriptions sont rayées du consentement des parties intéressées ou en vertu d'un jugement passé en force de chose jugée, et que par ailleurs la grosse litigieuse a été « saisie » par le défendeur lui-même ;

Qu'elle demande en conséquence à la Cour de mettre à néant le jugement entrepris et faisant, à son sens, ce que le Tribunal aurait dû faire, de dire et juger :

  • qu'en considérant qu'il était impossible de statuer dans un sens différent de celui de l'arrêt prononcé par la Cour d'appel de Paris, le jugement querellé n'a pas opéré la distinction, pourtant évidente, entre le problème de la valeur libératoire du reçu à l'égard du remboursement du prêt, tel que tranché par cet arrêt, et celui de la validité intrinsèque dudit reçu, de sa force probante et de son opposabilité à la société Interop qui se trouvait seul soumis à la juridiction monégasque ;

  • qu'en prétendant que l'absence de date et de cause démontrerait la fictivité du reçu litigieux, les premiers juges ont méconnu les dispositions d'ordre public applicables en la matière ;

  • qu'enfin le jugement critiqué ne pouvait pas, ainsi qu'il l'a pourtant fait, la considérer comme ayant commis un abus de blanc seing dont les éléments constitutifs ne se trouvent pas réunis en l'espèce ;

Qu'elle demande en définitive à la Cour de lui adjuger l'entier bénéfice de son exploit introductif d'instance en déclarant le reçu litigieux opposable à la société Interop en ce qu'il constate la matérialité du versement de la somme de 1 500 000 francs au profit de cette société qui en a donné l'acquit sous la signature de deux de ses mandataires sociaux, et de débouter celle-ci, dûment représentée par son liquidateur amiable, de toutes ses prétentions, fins et conclusions ;

Attendu qu'objectant qu'un reçu ne constitue nullement un titre de créance par lui-même et qu'il est vain de lui attribuer une valeur intrinsèque, D. ès qualités de liquidateur amiable de la société Interop, intimée, soutient que la valeur d'un tel reçu - qui ne constitue qu'un mode de preuve d'une opération déterminée - ne peut être appréciée de façon abstraite mais seulement par rapport à l'acte juridique dont il est censé constater l'existence, en sorte que l'appelante est mal fondée à demander qu'il soit statué sur la validité du reçu prétendu qu'elle produit sans en préciser préalablement la cause ;

Qu'invoquant la doctrine et la jurisprudence qui prévoient d'une manière générale l'admissibilité de la preuve par tous moyens dans les cas de fraude ou de dol et le fait que B. ès qualités, s'il n'a pas contesté la réalité matérielle des signataires du reçu, n'a nullement admis pour autant la sincérité de la teneur de ce dernier, il estime que l'existence de la fraude et la preuve du caractère fictif de ce reçu résultent d'un certain nombre de faits et circonstances suffisamment précis et concordants tels que : l'évident abus de blanc seing relaté par le sieur G., l'un des signataires, la confirmation des dires de celui-ci par le sieur R., comptable de la société Interop, l'absence de toute trace de remboursement dans la comptabilité de cette société, l'absence de date et de cause exprimée dans le reçu, la production tardive de ce dernier, l'invraisemblance des allégations de dame T. ainsi que la contradiction de ses versions successives, enfin le défaut de réclamation par celle-ci de la grosse constatant le prêt et de radiation des inscriptions hypothécaires ;

Qu'il fait valoir enfin que la société Interop n'aurait pu être engagée par le reçu litigieux - dans la mesure où il n'aurait pas été fictif - qu'autant qu'il ait été antérieur au 22 novembre 1968, date à laquelle B. était devenu seul habilité à représenter cette société et qu'à cet égard la Cour d'appel de Paris a souverainement statué en relevant que la société . ne rapportait pas la preuve d'une telle circonstance ; qu'il demande en conséquence à la Cour de débouter dame T. des fins de son appel et de confirmer le jugement attaqué ;

Sur ce :

Attendu qu'à l'examen de l'assignation introductive d'instance, il apparaît qu'au soutien de son dispositif tendant à ce qu'il soit dit et jugé que le reçu établi par deux administrateurs de la société Interop est légalement et juridiquement opposable tant à ladite société qu'à son liquidateur amiable ès qualités et ce, à toutes fins de droit que dame T. avisera, cette dernière a essentiellement invoqué comme motif le fait que la Cour d'appel de Paris s'est bornée, dans son arrêt du 16 avril 1975, à dénier toute force probante au reçu litigieux au seul plan du remboursement du prêt consenti par la société Interop à la S.C.I. . sans se prononcer sur la valeur intrinsèque et l'opposabilité dudit reçu qu'elle semble même accréditer, en sorte que cette question n'a pas encore reçu de solution formelle et explicite et qu'il convient donc de la trancher définitivement ;

Or attendu qu'un reçu ou « quittance » ne saurait constituer par lui-même et par la seule vertu de ce que l'appelante considère comme sa « valeur intrinsèque », un titre de créance le rendant de plein droit opposable à son signataire, dés lors que n'étant qu'un mode de preuve d'un versement de fonds générateur d'obligation s'il matérialise un prêt ou delibération s'il constate un remboursement, sa valeur ne peut être appréciée in abstracto mais seulement en contemplation de l'acte juridique dont il est censé constater l'existence ;

Qu'il s'ensuit que l'appelante n'aurait été fondée à arguer de la valeur concrète du reçu litigieux que si elle en avait précisé la cause et que celle-ci avait consisté en un acte juridique la liant à la Société Interop et concerné par ledit reçu ;

Attendu qu'il doit être observé à cet égard qu'après avoir soutenu, tout au long de la procédure ayant abouti à l'arrêt de cassation du 5 janvier 1977 - qui lui en a implicitement mais nécessairement dénié le droit - que le reçu dont s'agit était censé constater l'apurement de la dette de la S.C.I. . envers la société Interop l'appelante s'abstient, dans son assignation du 28 janvier 1978, de toute allusion à l'existence et partant à la nature de l'acte juridique causant le reçu qu'elle produit et se borne, sous peine de se contredire par l'invocation inopportune d'une cause différente de celle par elle alléguée devant les juridictions parisiennes, à déclarer qu'elle agit « à toutes fins de droit qu'elle avisera » et à conclure ultérieurement que ce reçu consacrait « la matérialité du versement de 1 500 000 francs au profit de la société Interop sans préciser pour autant la cause de ce versement » ;

Qu'une telle attitude de l'appelante apparaît à tout le moins démonstrative de l'inanité de ses prétentions alors surtout que les « fins de droit » indéterminées qu'elle se propose d'aviser ne sauraient pallier le défaut d'indication de l'acte juridique auquel est censé se rattacher le reçu litigieux dont elle est par là même mal fondée à invoquer la prétendue « valeur intrinsèque » attributive de validité qui s'évincerait, selon elle, de la seule signature, non contestée dont il est revêtu, sans qu'il y ait lieu d'avoir égard au défaut de date qu'elle considère, dès lors qu'il s'agit d'un acte sous seing privé, comme étant insusceptible d'altérer sa force probante et par suite d'entraîner son inopposabilité à l'égard de ses signataires ;

Attendu que s'il est constant que B., es qualités, n'a jamais discuté la réalité de la signature des administrateurs de la société Interop portée sur le reçu produit par dame T., les réclamations et sommation par lui adressées à cette dernière aux fins de remboursement de la somme visée audit reçu augmentée des intérêts et indemnités de retard sont cependant suffisamment révélatrices de son refus de reconnaître la sincérité des énonciations de cet acte et par suite la validité de ce dernier, nonobstant les dispositions des articles 1169, 1170 et 1188 du Code civil auxquelles l'appelante entend, en cet état, expressément, mais vainement se référer ;

Attendu, en effet, que pour énonciatifs soient-ils des principes généraux régissant la force probante des actes sous seings privés, les textes précités ne sauraient recevoir application dans la présente instance dès lors que le cas d'espèce apparaît régi par celles de l'article 1200 du Code civil duquel il résulte que la preuve par tous moyens contre les énonciations d'un acte est admissible en cas de fraude ou de dol au vœu d'une doctrine unanime et de la jurisprudence la plus récente (Cass. civ. 15 juin 1961 : Bull. 61 n° 319) laquelle, sans même exiger la preuve préalable d'un dol ou d'une fraude estime que les actes sous seings privés ne font foi que jusqu'à preuve contraire de la sincérité des faits juridiques qu'ils constatent et des énonciations qu'ils contiennent et que, lorsque de telles énonciations vont contre toute vraisemblance, la preuve de leur inexactitude peut être rapportée par tous moyens (Cass. civ. 8 janv. 1955 : Bull. 1, 13) ;

Qu'il est à peine besoin de souligner, outre l'invraisemblance du reçu litigieux, aussi muet sur sa date que sur sa cause et le taux des intérêts du prêt pourtant relativement élevé dont il était censé matérialiser le remboursement aux dires longtemps réitérés de la dame T., le caractère fictif d'un tel acte qui s'évince nécessairement de la fictivité expressément affirmée par l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 16 avril 1975 devenu définitif de la « prétendue opération de remboursement de prêt constaté le 11 mars 1966 » et que les premiers juges monégasques ont à leur tour et à juste titre relevé en rappelant, à l'instar de l'arrêt précité, un certain nombre de faits et circonstances d'où résulte à l'évidence l'existence d'une fraude ou d'un comportement dolosif, étant rappelé à cet égard qu'un tel comportement est, au vœu de la doctrine et de la jurisprudence, de nature à entraîner la nullité non seulement des engagements conventionnés mais encore des actes unilatéraux ;

Qu'ainsi la prétendue validité que l'appelante entend voir conférer judiciairement au reçu qu'elle produit, se trouve pleinement infirmée par des « témoignages, indices et autres présomptions suffisamment précis et concordants » et notamment par une lettre produite aux débats, du sieur G., l'un des signataires du prétendu reçu qui affirme « solennellement qu'aucun des trois administrateurs n'a reçu de la S.C.I. . » et qu' « il y a eu, en l'occurrence, un évident abus de blanc seing » dès lors que T. leur avait demandé - en leur qualité de « sleeping-partners » - de « lui remettre différents reçus signés mais sans date de manière à faire face à toute » éventualité « ce qui est au demeurant confirmé par le sieur R., comptable de la société intimée, en une autre correspondance également versée aux débats ; qu'à ces témoignages, particulièrement déterminants, il convient d'ajouter, outre l'absence de date et de cause exprimée dans le reçu et l'insigne discrétion de l'appelante à cet égard, l'absence de toute trace de remboursement dans la comptabilité de la société Interop comme aussi d'une écriture correspondant au prétendu versement dans les comptes tant de la S.C.I. . que de la dame T. personnellement, la production anormalement tardive en justice du reçu litigieux par cette dernière nonobstant les injonctions aux fins de communication de pièces qui lui ont été faites apparemment sans succès puisque cette production n'est intervenue que postérieurement à l'ordonnance de clôture en sorte que B. s'est trouvé, comme l'a rappelé la Cour d'appel de Paris, dans l'impossibilité d'y répondre, enfin la circonstance, établie par un rapport d'expertise versé aux débats, que l'appelante n'a pas réclamé la grosse constatant le prêt qu'elle aurait prédendûment remboursé, non plus que la radiation de l'inscription hypothécaire qui, en l'état d'un tel remboursement - dont la réalité a été définitivement écartée par l'arrêt du 16 avril 1975 de la Cour d'appel précitée - eût pu être obtenue si dame T. avait initié la procédure prévue par l'article 1997 du Code civil dont rien n'établit qu'elle ait été engagée ;

Attendu que si les premiers juges ont dénié toute valeur probante au reçu litigieux tant la nullité de celle-ci leur est apparue évidente et se sont bornés à souligner sa fictivité sans se prononcer expressément sur son opposabilité à la société Interop et à son liquidateur amiable, il doit être observé qu'en l'espèce l'opposabilité dudit reçu dépend de sa date, en sorte qu'au vœu de la jurisprudence récemment instaurée en semblable matière (Cass. civ. I, 11 avril 1964 : D. 1965, somm. 65, J.C.P. 65, II, 14101) il appartient à l'appelante qui entend se prévaloir de son prétendu reçu d'apporter la preuve de la date à laquelle il a été passé ;

Or attendu qu'après avoir relevé l'absence de date sur le reçu produit par dame T., la Cour d'appel de Paris a définitivement jugé à cet égard que ce dernier n'aurait pu avoir un effet libératoire à l'égard de Interop, autrement dit n'aurait pu lui être opposable qu'autant qu'eût été administrée par la S.C.I. . qui s'en prévalait, la preuve de ce qu'il avait été souscrit à une date antérieure à l'entrée en fonction du liquidateur B., seul habilité à recevoir les fonds et en délivrer quittance, preuve qui n'était ni rapportée ni même simplement offerte ;

Attendu qu'une telle preuve n'étant pas davantage administrée à l'occasion de la présente instance et la doctrine (Mazeaud, note sous Cass. civ. 11 avril 1964, précité) considérant comme » curieux «, » anormal « et » suspect « un acte sans date lorsque celle-ci est susceptible d'influer sur sa validité, en sorte qu' » il est à peine exagéré de dire que l'omission de la date « chaque fois que la validité dépend de celle-ci, » permet de présumer de fraude « et que » rien ne justifie une faveur particulière pour un acte que l'absence de date rend plutôt suspect ", dame T. apparaît mal fondée à demander à la Cour de céans de faire droit aux fins de son exploit introductif d'instance en consacrant l'opposabilité de son prétendu reçu à la société présentement intimée représentée par son liquidateur amiable D. ;

Attendu qu'il y a lieu en conséquence de la débouter des fins de son appel et de confirmer la décision attaquée ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS, partiellement substitués à ceux des premiers juges et ceux non contraires de ces derniers ;

La Cour, confirme la décision attaquée du 17 mai 1979 qui sortira son plein et entier effet.

Composition🔗

MMerqui, près., Mme Picco-Margossian, prem, subst. gén., MMe Clérissi et Lorenzi, av. déf., Mas (du Barreau de Paris), av.

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