Cour d'appel, 25 mars 1980, S.A.M. Hôtel Mirabeau c/ Époux B. et Compagnie U.A.P.
Abstract🔗
Hôtel - Coffre mis à la disposition d'utilisateurs non-voyageurs du « flat-service » - Vol
Prestation à titre onéreux (oui) - Convention de coffre-fort génératrice d'une obligation de résultat (non) - Dépôt volontaire salarié impliquant une obligation de moyens (oui)
Force majeure - Vol à main armée
Imprévisibilité lors de la conclusion du contrat (non) - Responsabilité du dépositaire (oui)
Résumé🔗
En autorisant les usagers, non-voyageurs, du « flat-service » par elle organisé dans son établissement, à placer dans un compartiment de son armoire blindée des fonds, bijoux et autres valeurs en contrepartie du profit résultant pour elle de l'utilisation du service précité, la direction d'un hôtel s'est comportée à leur endroit en qualité de dépositaire et a, par là même, contracté envers eux sinon l'obligation de résultat de banquier dans le cadre de la « convention de coffre-fort », du moins une obligation de moyens découlant du dépôt volontaire salarié (1).
Le vol à main armée n'est pas, à l'époque actuelle, un événement échappant aux prévisions humaines et ne peut donc être considéré, fût-il commis en groupe, par escalade ou effraction, comme un cas de force majeure laquelle ne constitue qu'un événement que la vigilance et l'industrie des hommes n'ont pu ni prévenir ni empêcher.
Il en est notamment ainsi de ce que, par emprunt au langage anglo-saxon, l'on qualifie de « hold-up » auxquels n'échappe aucun établissement dépositaire de fonds et qui sont perpétrés dans les conditions les plus audacieuses (2).
Motifs🔗
La Cour
Statuant sur l'appel régulièrement interjeté, en la forme, par la S.A.M. Hôtel Mirabeau d'un jugement contradictoirement rendu le 29 mars 1979, par le Tribunal de première instance, lequel, accueillant la demande des époux B. dirigée contre ladite S.A.M. Hôtel Mirabeau, a déclaré cette dernière responsable du vol commis le 8 mars 1977 dans le coffre n° 15 mis par elle à la disposition desdits époux, et tenue d'en réparer les conséquences dommageables, a débouté, par contre, les époux B. de leur demande dirigée contre l'Union des Assurances de Paris, assureur de la S.A.M. précitée et avant dire droit au fond sur le montant du préjudice subi par les demandeurs, a désigné Monsieur Orecchia Roger assisté de tout sapiteur de son choix, en qualité d'expert, avec mission de fournir au tribunal tous éléments permettant d'établir tant la consistance que la valeur des objets placés par les époux B. dans le compartiment numéro 15 comme aussi le préjudice dont J. B. se prévaut au titre de la disparition d'une chaîne d'effets commerciaux d'un montant total de 1 544 500 francs, a dit enfin n'y avoir lieu à accorder une provision non plus qu'à ordonner l'exécution provisoire, et a condamné la S.A.M. Mirabeau aux dépens ;
Attendu qu'il est constant que dans la nuit du 7 au 8 mars 1977 et dans les circonstances parfaitement relatées dans la décision entreprise à laquelle il convient de se reporter à cet égard, une agression à main armée a permis à trois malfaiteurs, après avoir neutralisé le concierge et le standardiste de nuit de l'hôtel Mirabeau qui occupe 5 des 27 étages de l'immeuble « L. M. » à Monte-Carlo, de forcer 39 des 43 coffres de l'armoire blindée installée dans le bureau de la comptabilité sis au rez-de-chaussée dudit hôtel, et dont la porte était demeurée ouverte, et de s'emparer de leur contenu ;
Attendu que par exploit du 18 avril 1977, les époux B. attributaires de l'un des 39 coffres forcés portant le n° 15 dans lequel ils soutenaient avoir disposé des bijoux, valeurs et fonds divers ont assigné d'une part l'hôtel Mirabeau, d'autre part la Compagnie d'assurances U.A.P. aux fins de s'entendre déclarer entièrement responsables du vol commis à leur préjudice et condamner conjointement et solidairement à la réparation de celui-ci ;
Attendu que pour statuer comme ils l'ont fait sur la demande des époux B. dirigée contre la S.A.M. Hôtel Mirabeau, les premiers juges - après avoir relevé que ces derniers occupaient lors de la perpétration du vol litigieux, un appartement sis dans la partie de l'immeuble « L. M. » affecté à l'habitation en copropriété et n'étaient donc pas des voyageurs logeant dans l'hôtel du même nom en sorte que les bijoux et autres valeurs déposés par eux dans le coffre n° 15 de cet hôtel ne s'y trouvaient pas au titre du dépôt nécessaire visé par l'article 1791 du Code civil et que par suite toute la partie des conclusions des parties se référant à ce texte était nécessairement dépourvue de portée juridique et n'avait pas à être examinée - ont considéré que si la mise à la disposition des demandeurs, dans le cadre du « flat-service » instauré par l'hôtel au profit tant de ses clients que des occupants des locaux dépendant de la copropriété du M., du compartiment de coffre n° 15 n'a jamais donné lieu au paiement d'une quelconque redevance, cette libéralité revêtait un caractère théorique dès lors qu'elle ne pouvait être dissociée de l'ensemble des profits tirés par l'hôtel d'un « flat-service » conçu dans un intérêt commun et qu'elle trouvait sa contrepartie dans l'avantage retiré par celui-ci de la continuité des relations unissant les parties en sorte que ladite prestation de service ne présentait nullement le caractère gratuit allégué par la défenderesse mais s'analysait en une prestation à titre onéreux sur le fondement de laquelle il convenait d'apprécier la responsabilité de la S.A.M. Hôtel Mirabeau en l'état de l'obligation de moyen par elle assumée et consistant, en l'espèce, à prendre un minimum de précautions pour que les bijoux et valeurs placés dans le coffre dont s'agit puissent être récupérés dans leur intégralité et en bon état par les disposants ; qu'ils ont estimé à cet égard, après avoir rappelé la relative facilité avec laquelle le cambriolage a eu lieu, qu'en mettant à la disposition des époux B. un compartiment de coffre susceptible d'être forcé à l'aide d'un simple tournevis, alors que le propre d'un coffre-fort est de présenter par lui-même une résistance le mettant à l'abri d'interventions aussi simplistes, la S.A.M. Hôtel Mirabeau n'avait pas rempli à l'égard des époux B., l'obligation de moyen qu'elle avait contractée à leur endroit et qu'elle devait donc être déclarée responsable du préjudice résultant pour eux de l'inexécution de cette obligation et condamnée à le réparer ;
Attendu que pour débouter, en revanche, les demandeurs de leur action contre la Compagnie d'assurances U.A.P., les juges du premier degré ont déduit de la clause qualifiée par eux de parfaitement claire en sa rédaction de la police d'assurances relative à la responsabilité en cas de vol ou de tentative de vol d'objets confiés à l'assuré par ses clients et placés dans un coffre-fort fermé à clef, et faisant expressément référence à une responsabilité civile encourue en qualité de dépositaire et aux articles 1952 et 1954 du Code civil français correspondant aux articles 1791 et 1793 du Code civil monégasque, que seuls étaient couverts par ladite compagnie d'assurances les risques engageant la responsabilité légale encourue par l'hôtelier dans le cadre du concept juridique du dépôt nécessaire et impliquant par là même la réparation d'un dommage causé à un client ou voyageur, qualité dont ne pouvaient se prévaloir les époux B. ;
Attendu, enfin, que pour contester à la S.A.M. Hôtel Mirabeau - dont ils ont déclaré, dans les motifs de leur décision sinon dans son dispositif qui n'y fait point référence, fondée en son principe la demande reconventionnelle en paiement d'une somme de 20 910 francs que leur directeur a remise à J. B. à la suite du vol pour lui permettre d'assurer ses dépenses courantes - le droit d'en obtenir le remboursement, les premiers juges ont cru devoir souligner le caractère inéluctable d'une compensation légale à intervenir de ladite somme avec les dommages-intérêts que ladite S.A.M. serait tenue de verser aux demandeurs principaux en l'état de la responsabilité mise à sa charge ;
Attendu que persistant à soutenir, en cause d'appel, que l'attribution des coffres de l'armoire blindée a de tout temps revêtu un caractère purement gracieux au bénéfice des résidents de l'immeuble et que les époux B. qui bénéficiaient de ce service depuis 1975 ne pouvaient rien ignorer des circonstances très précises dans lesquelles il était pratiqué d'un commun accord, la société Hôtel Mirabeau fait grief aux premiers juges d'avoir réputé à titre onéreux la prestation dont s'agit alors que, selon elle, il n'existe aucune liaison nécessaire ou évidente entre un « flat-service » général et onéreux et une attribution particulière et gracieuse de coffre qui constitue un prêt gratuit à usage assorti de la participation bénévole du personnel de l'hôtel pour l'utilisation dudit coffre par son attributaire, en sorte qu'elle ne saurait être tenue à l'égard de ce dernier d'aucune obligation de moyen et que sa responsabilité ne pourrait être engagée qu'en cas de faute caractérisée de sa part dans l'exécution de ladite prestation ;
Qu'elle estime que cette responsabilité peut d'autant moins être recherchée en l'espèce que les circonstances du vol litigieux caractérisent, au vœu de la loi, un cas fortuit ou de force majeure exonératoire au sens de l'article 1793 du Code civil puisqu'aussi bien telle qu'elle s'est déroulée, l'agression à main armée commise dans la nuit du 7 au 8 mars 1977 était normalement imprévisible à Monaco et a revêtu un caractère irrésistible dans la mesure où le fait du tiers n'a pu et n'aurait pu en aucun cas être empêché dans ses conséquences ;
Qu'elle considère à cet égard que la décision entreprise comporte une contradiction irréductible dans la démarche des premiers juges, lesquels après avoir noté que la porte de l'armoire blindée était demeurée ouverte et admis, à la supposer fermée, que les agresseurs armés n'auraient eu aucune peine à s'en faire remettre la clef par les préposés de nuit de l'hôtel, ont cru devoir imputer à faute à la direction de celui-ci l'insuffisante résistance des compartiments intérieurs de ladite armoire et par suite le défaut de mise à la disposition des déposants de coffres offrant une meilleure garantie de sécurité alors que, d'une part, l'on ne saurait sérieusement assimiler un coffre d'hôtel à la chambre forte d'une banque dont les caractéristiques sont sensiblement différentes et que, d'autre part, les époux B. qui étaient parfaitement instruits de la manière dont fonctionnait le coffre mis à leur disposition n'avaient souscrit aucune assurance-dommages pour les valeurs qu'ils y avaient déposées, commettant par là même une négligence grave, équipollente à celle du « voyageur » visée par l'article 1793 du Code civil ;
Attendu que, reprochant encore au jugement attaqué d'avoir écarté la garantie de la Compagnie d'assurances U.A.P., elle estime que l'interprétation de la police d'assurance à laquelle le tribunal s'est livré procède d'une appréciation par trop restrictive de la garantie hôtelière et qui n'apparaît pas en harmonie avec l'analyse dudit jugement relative aux conventions des parties quant à l'attribution d'un coffre dans le cadre des prestations d'ensemble du « flat-service » d'une part, le principe général de l'interprétation contre l'assureur de toute clause assortie d'équivoque ou d'ambiguïté d'autre part, alors qu'il n'est pas douteux qu'en souscrivant ladite police d'assurances, elle a entendu s'assurer contre toute responsabilité née d'un risque de vol, sans distinction entre résidents et voyageurs comme en témoigne, à son sens, l'avenant d'extension du 13 juin 1974 stipulant que « son personnel peut être notamment chargé de la surveillance tant de l'hôtel que de l'immeuble M. » et qu'elle « agit tant pour son compte que pour celui des copropriétaires lorsque le personnel est occupé au service particulier de ces derniers » ;
Qu'estimant en conséquence parfaitement fondé son recours contre la décision querellée, elle demande à la Cour de réformer celle-ci en ce qu'elle l'a déclarée responsable du vol commis au préjudice des époux B. et tenue d'en réparer les conséquences dommageables, et a débouté ces derniers de leur demande formée à l'encontre de la Compagnie U.A.P., de confirmer ladite décision en ce qu'elle a déclaré fondée sa demande reconventionnelle en paiement de la somme de 20 910 francs avec intérêts de droit et de condamner en conséquence lesdits époux B. à lui rembourser cette somme, subsidiairement et pour le cas où la Cour croirait devoir retenir sa responsabilité, de dire et juger que l'ensemble des stipulations de la police d'assurances par elle souscrite auprès de la Compagnie U.A.P. consacre, au regard de l'assureur, et si besoin est, par interprétation dans le sens de l'assurée d'une rédaction équivoque ou ambiguë, l'assimilation d'un résident à un client du point de vue de la disposition d'un coffre de l'hôtel et implique par là même la garantie de l'U.A.P. au regard des conséquences du sinistre dont s'agit ;
Attendu qu'en des conclusions en date du 31 août 1979 et pour des motifs empruntés à la décision attaquée, les époux B. demandent à la Cour de confirmer cette décision tant en ce qu'elle a déclaré la S.A.M. Hôtel Mirabeau responsable du vol dont ils ont été victimes et tenu d'en réparer les conséquences dommageables qu'en ce qu'elle a ordonné une mesure d'expertise aux fins de détermination du préjudice subi ;
Qu'ils demandent encore, par voie d'appel incident, que ladite société soit condamnée au principal, à leur payer eu égard au retard apporté aux opérations d'expertise en l'état du recours exercé par celle-ci la somme de 1 581 000 francs du chef de J. B. et celle de 1 800 000 francs du chef de la dame K. épouse B., et ce avec intérêts de droit à compter du jour de la demande, subsidiairement une indemnité provisionnelle globale de 200 000 francs ;
Attendu que contestant le sérieux de cette prétention en l'état de la mesure d'expertise ordonnée et rappelant que la S.A.M. Hôtel Mirabeau n'a, à aucun moment de la procédure suivie devant le Tribunal, demandé que son assureur soit condamné à la relever et garantir de toutes les condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre au profit des époux B., la compagnie U.A.P. estime qu'une telle demande formulée à titre subsidiaire et pour la première fois en cause d'appel par ladite société, constitue une demande nouvelle qui doit être rejetée à la fois comme irrecevable et mal fondée ;
Qu'elle soutient à cet égard et à titre superfétatoire, que le manque de fondement d'une telle demande résulte à l'évidence des propres écritures prises en première instance par la société appelante dans lesquelles elle déniait aux époux B. la qualité de clients de l'hôtel non recevables à invoquer à son encontre les règles du dépôt nécessaire, et qu'il a été, en tout état de cause, pertinemment déduit par les premiers juges de la police d'assurances multirisque conclue par ladite société le 13 novembre 1973 et de l'avenant d'augmentation intervenu le 13 juin 1974 dont les clauses claires et précises ne sauraient donner lieu à aucune interprétation en faveur de l'assurée ;
Qu'elle demande en conséquence à la Cour de déclarer irrecevable et en toute hypothèse mal fondée la demande subsidiairement formée à son encontre par la S.A.M. Hôtel Mirabeau, de débouter celle-ci des fins de son appel de ce chef et de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les époux B. de l'action qu'ils avaient directement engagé contre elle ;
Attendu que tout en reconnaissant que le coffre-fort a été remplacé depuis le hold-up litigieux sans pour autant que l'armoire actuelle soit d'un modèle différent de celui de la précédente et pourvue de compartiments intérieurs plus résistants à l'effraction, la société appelante soutient, en d'ultimes conclusions, d'une part et à l'instar de la Compagnie U.A.P., que l'appel incident des époux B. est dénué de fondement, d'autre part que la garantie de cette compagnie d'assurances et sa condamnation étaient incluses dans la demande principale desdits époux à laquelle elle s'est elle-même jointe à titre subsidiaire devant le tribunal, en sorte qu'elle est recevable à revendiquer subsidiairement encore en cause d'appel la garantie de l'U.A.P. sans qu'il puisse s'agir d'une demande nouvelle alors surtout qu'en concluant à ce qu'il soit statué ce que de droit sur cette garantie, les époux B. ont nécessairement relevé appel incident de ce chef ;
Qu'elle conclut en conséquence et de plus fort à ce qu'il soit fait droit aux fins de son appel ;
Sur ce :
Attendu que la Cour étant saisie d'une part d'un appel principal de la S.A.M. Hôtel Mirabeau tant des chefs de la responsabilité du vol litigieux et subsidiairement de la garantie de l'U.A.P. à l'occasion de ce sinistre que du chef des sommes réclamées aux époux B. par voie reconventionnelle, d'autre part d'un appel incident de ces derniers tendant à obtenir d'ores et déjà de ladite S.A.M. paiement de la valeur des bijoux et valeurs qui leur ont été dérobés, il y a lieu de statuer successivement :
1° Sur l'appel de la S.A.M. Hôtel Mirabeau du chef de la responsabilité mise à sa charge :
Attendu qu'il est avéré, comme pertinemment souligné par les premiers juges, que, lors de la perpétration du vol litigieux, les époux B. n'étaient nullement des voyageurs logeant à l'Hôtel Mirabeau mais les occupants d'un appartement dépendant de l'immeuble en copropriété « Résidence M. » dont ledit hôtel occupe lui-même les cinq premiers étages sur rez-de-chaussée ;
Qu'il s'ensuit, que les fonds, bijoux et autres valeurs par eux déposés dans le compartiment n° 15 du coffre de l'hôtel mis par la direction de ce dernier à leur disposition ne pouvaient, par là même, s'y trouver au titre du dépôt nécessaire tel que défini et réglementé par les articles 1791 à 1793 du Code civil, en sorte que l'appelante est mal fondée à invoquer de telles dispositions au soutien de son argumentation et que c'est à bon droit que le tribunal a estimé dépourvue de toute portée juridique la partie des conclusions échangées entre les parties se rapportant à l'application des textes précités ;
Attendu que s'évince, en réalité, des faits et circonstances de la cause l'existence entre l'Hôtel Mirabeau et les époux B. de relations contractuelles ayant pris leur source dans la mise à la disposition par la direction de cet hôtel et l'utilisation à titre onéreux par ces derniers de ce qu'il est convenu d'appeler un « flat-service » parfaitement défini par le jugement entrepris auquel il convient de se reporter à cet égard, et dont bénéficiaient, le 8 mars 1977, aussi bien les clients dudit hôtel que les résidents de l'immeuble à quelque titre que ce soit nonobstant l'autonomie existant entre ce dernier et le reste de la copropriété ;
Attendu qu'il apparaît que c'est dans le cadre de ce « flat-service » dont les utilisateurs bénéficiaient, selon des modalités de paiement à définir, d'un certain nombre d'avantages inhérents à la mise à leur disposition des équipements de l'hôtel (piscine, sauna, salon de coiffure, etc.) et à la possibilité d'obtenir sur place des prestations telles que notamment : la restauration, le blanchissage et autres facilités téléphoniques, que les époux B. sont devenus attributaires d'un compartiment de l'armoire blindée installée dans la pièce du service comptable sise au rez-de-chaussée dudit hôtel, à l'effet d'y déposer leurs bijoux et valeurs ;
Attendu que si tant est qu'aucune redevance n'ait jamais été réclamée aux intimés en contrepartie de la jouissance d'un tel coffre, il doit être considéré que celle-ci n'a pas revêtu pour autant un caractère gracieux dès lors que, d'une part, le cahier des charges applicable tant à la copropriété qu'à l'hôtel Mirabeau n'imposait nullement à ce dernier la mise à la disposition des clients et résidents d'un flat-service mais se bornait à l'autoriser et que, d'autre part, le caractère commercial de la société appelante impliquait nécessairement une recherche multiforme de profit et notamment la réalisation de bénéfices substantiels par le truchement dudit flat-service dont il importait de maintenir voire même d'augmenter la rentabilité par l'octroi à ses utilisateurs assidus d'une compensation sous forme de services et autres prestations apparemment fournis à titre gratuit ;
Qu'il en est d'autant plus ainsi dans les rapports entre la société appelante et les époux B. que ces derniers ont été amenés, ainsi qu'il en est justifié, à régler dans le cadre du flat-service dont ils ont largement usé en qualité de résidents de l'immeuble « M. » d'importantes notes de frais, notamment de restauration, et à procurer ce faisant à l'hôtel des revenus non négligeables qui doivent être considérés comme constituant une rétribution de fait de la prestation consistant en la mise à leur disposition du compartiment n° 15 du coffre dont s'agit ;
Attendu que si, par la possibilité offerte à l'attributaire d'un tel compartiment de coffre de l'utiliser à l'aide d'une clef à lui confiée et du passe détenu par un préposé de l'hôtel, sans avoir à justifier auprès de la Direction de celui-ci de ses dépôts ou de ses retraits, une telle prestation peut, par certains côtés, s'apparenter au contrat à titre onéreux en usage en matière bancaire sous le nom de « convention de coffre-fort » à laquelle les intimés entendent identifier leur propre contractation et que la doctrine a tendance à regarder comme un contrat « sui generis » puisque ne procédant complètement ni du louage ni du dépôt proprement dit, il apparaît qu'en autorisant les époux B. à placer dans une case de son armoire blindée des fonds, bijoux et autres valeurs, la société appelante s'est comportée à leur endroit en qualité de dépositaire et a par là même contracté envers eux sinon l'obligation de résultat du banquier dans le cadre de la « convention de coffre-fort » susvisée, du moins une obligation de moyens découlant du dépôt volontaire salarié ;
Attendu qu'il est de jurisprudence constante qu'en l'état d'une telle obligation, le dépositaire salarié doit apporter dans la garde de la chose déposée non seulement le même soin qu'il apporte à la garde des choses qui lui appartiennent mais encore un soin identique à celui d'un bon père de famille, et que en vue d'assurer la conservation de l'objet dont il a accepté le dépôt, il est tenu de prendre toutes les mesures de prudence nécessitées par les circonstances et ne peut être libéré de son obligation de restituer que s'il prouve que la disparition de la chose déposée est due à un cas de force majeure qu'il n'a pu prévoir ni empêcher, étant observé que la force majeure ne saurait exonérer de ses obligations celui qui s'en prévaut que si ce n'est pas de sa propre faute qu'elle s'est produite et que si cette faute, au cas où elle aurait été commise, ne revêt pas un caractère de gravité suffisante pour écarter les effets normaux de ladite force majeure ;
Or, attendu qu'il est constant, en l'espèce, qu'outre le fait que l'armoire coffre-fort de l'hôtel n'était pas installée dans une chambre forte mais dans une simple pièce attenante au bureau de la comptabilité et dépourvue de toute installation de protection, la porte blindée de cette armoire n'était pas fermée à clef lors de la commission du vol litigieux et que, de l'aveu même du sieur M. A., directeur dudit établissement, recueilli au cours de l'enquête policière, cette porte n'était jamais fermée de la sorte « par mesure de commodité », si bien que les compartiments intérieurs au nombre de 43 et munis d'une serrure mais ne comportant aucun blindage de nature à en garantir sinon une inviolabilité absolue du moins une certaine résistance à une éventuelle effraction étaient parfaitement accessibles et se trouvaient à tout moment, y compris à toutes les heures de la nuit, exposés à toute entreprise de forcement ;
Que de tels faits et circonstances établissent à l'encontre de la société appelante un manquement grave à l'obligation de moyens par elle contractée envers les intimés dans la mesure où pour des raisons purement commerciales, elle n'a pas cru devoir ordonner, au moins durant la nuit, la fermeture à clef de la porte blindée du coffre qui seule aurait été de nature à procurer aux objets déposés dans ses compartiments une certaine sécurité et à laquelle ladite société, consciente de la faute par elle ainsi commise, a dû se résoudre depuis le vol litigieux en n'autorisant l'accès aux coffres que de 8 heures à 22 heures, comme il résulte d'un constat d'huissier en date du 18 juillet 1979 versé aux débats ;
Attendu que les imprudence, négligence et défaut de soin caractérisés ainsi relevés à l'encontre de la S.A.M. Hôtel Mirabeau, au mépris de son obligation d'assurer par des mesures appropriées la conservation des objets reçus en dépôt dans son coffre, engageant sa responsabilité vis-à-vis des intimés, il doit être observé que la faute de ladite société revêt un caractère de gravité suffisante pour écarter les effets de la force majeure au cas où la preuve de son existence serait rapportée ;
Or, attendu qu'une telle preuve ne peut être au demeurant considérée comme étant administrée en l'espèce dès lors que le vol à main armée dont la société appelante entend se prévaloir pour échapper à toute responsabilité n'est pas à l'époque actuelle un événement échappant aux prévisions humaines et ne peut donc être considéré, fût-il commis en groupe, par escalade ou effraction, comme un cas de force majeure, laquelle ne constitue qu'un événement que la vigilance et l'industrie des hommes n'ont pu ni prévenir ni empêcher ;
Que si une agression telle que celle concernée par le présent litige pouvait apparaître comme relativement imprévisible dans un pays bien policé à une époque où un plus grand respect de la propriété d'autrui se traduisait par une extrême rareté d'entreprises délictuelles d'une telle importance, il n'en est plus de même de nos jours où l'on assiste, dans le cadre d'une activité délinquantielle démesurée, à une multiplication et par là même à une banalisation de ce que, par emprunt au langage anglo-saxon, l'on qualifie de « hold-up » auxquels n'échappe aucun établissement dépositaire de fonds et qui sont perpétrés dans les conditions les plus audacieuses ;
Attendu que si le vol litigieux n'a pu être empêché dans ses conséquences, il doit être rappelé, avec la jurisprudence constante en la matière, que pour autant que l'irrésistibilité de l'événement soit à elle seule constitutive de la force majeure lorsque sa prévision ne saurait permettre d'en empêcher les effets, il ne saurait en être ainsi lorsque, comme en l'espèce, le débiteur pouvait normalement prévoir cet événement au moment de la conclusion du contrat sur le fondement duquel sa responsabilité est recherchée ;
Attendu que la S.A.M. Hôtel Mirabeau ne pouvant donc invoquer valablement aucune cause d'exonération, c'est à bon droit que les premiers juges l'ont déclarée responsable du préjudice subi par les intimés et tenue de le réparer ;
2° Sur l'appel de la S.A.M. Hôtel Mirabeau tendant subsidiairement à être garantie par l'U.A.P. :
Attendu que telle qu'elle est libellée dans l'acte d'appel, une telle prétention s'analyse au plan de la procédure en un appel en garantie formé pour la première fois en cause d'appel ;
Attendu, en effet, qu'à aucun moment la société Hôtel Mirabeau n'a demandé dans ses conclusions de première instance, fût-ce à titre subsidiaire, que la Compagnie d'assurances U.A.P. soit condamnée à la relever et à la garantir de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre au profit des époux B. non plus qu'elle n'a entendu faire juger que l'ensemble des stipulations de la police par elle souscrite auprès de ladite compagnie d'assurances consacrait, au regard de l'assureur et, si besoin était, par interprétation dans le sens de l'assurée d'une rédaction équivoque ou ambiguë, l'assimilation d'un résident à un client du point de vue de la disposition d'un coffre ;
Attendu, par ailleurs, que ne peut être considéré comme constituant un appel incident de la part des époux B. le fait par eux d'avoir conclu à ce qu'il soit statué ce que de droit sur la garantie de l'U.A.P. et qu'il ne peut davantage être sérieusement soutenu par la société appelante que cette garantie était incluse dans la demande principale desdits époux à laquelle elle se serait elle-même jointe devant les premiers juges ;
Attendu qu'il s'ensuit que l'appel en garantie tel que formulé subsidiairement par la S.A.M. Hôtel Mirabeau d'une manière d'ailleurs elliptique dans son exploit d'appel aux fins d'être éventuellement relevée par la compagnie U.A.P. des condamnations susceptibles d'intervenir à son encontre, constitue une demande nouvelle en cause d'appel par là même irrecevable ;
Qu'il y a donc lieu de la rejeter ;
3° Sur la demande reconventionnelle de la S.A.M. Hôtel Mirabeau :
Attendu que s'il n'est pas contesté par les époux B. qu'ils ont bien reçu de la société appelante les 8, 9, 10, 12 et 13 mars 1977, soit dans les jours qui ont suivi le vol litigieux, diverses sommes d'un montant global de 20 910 francs destinées à les dépanner en sorte que cette société apparaît fondée à en demander reconventionnellement le remboursement, il convient, compte tenu des motifs qui précèdent et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, de surseoir à statuer de ce chef jusqu'au résultat de la mesure d'expertise ordonnée par le Tribunal dont la décision à cet égard doit être confirmée ;
4° Sur l'appel incident des époux B. :
Attendu qu'en l'état de ladite mesure d'instruction que les premiers juges ont cru devoir ordonner avant dire droit sur le préjudice résultant pour lesdits époux du vol litigieux, ces derniers, qui ont conclu de ce chef à la confirmation de la décision attaquée, ne sauraient sérieusement prétendre obtenir de plano réparation dudit préjudice sur l'existence et le montant duquel il n'apparaît pas possible, en l'état, de se prononcer, en sorte qu'il y a lieu de les déclarer mal fondés en leur appel incident tendant à voir condamner la S.A.M. Hôtel Mirabeau à leur payer les sommes visées dans leurs conclusions et, à défaut, une indemnité provisionnelle de 200 000 francs, et comme tels, de les débouter de leur appel ;
Attendu que les dépens doivent être réservés en fin de cause ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS, partiellement substitués à ceux des premiers juges et ceux non contraires de ces derniers qu'elle adopte et fait siens,
La Cour,
Statuant dans la limite des appels dont elle est saisie,
Confirme dans toutes ses dispositions le jugement attaqué du 29 mars 1979 qui sortira son plein et entier effet ;
Y ajoutant,
Déclare la S.A.M. Hôtel Mirabeau irrecevable en sa demande formée à titre subsidiaire et pour la première fois en cause d'appel tendant à voir la Compagnie U.A.P. condamnée à la garantie et relever des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre au profit des époux B. ;
Surseoit à statuer sur la demande reconventionnelle de la S.A.M. Hôtel Mirabeau ;
Déclare les époux B. mal fondés en leur appel incident et comme tels les en déboute ;
Composition🔗
M. Merqui, prés., Mme Picco-Margossian, subst. gén., MMe Boisson, Lorenzi et Clérissi, av. déf., Auguy et Bernard (du barreau de Paris), Blot, av.