Cour d'appel, 29 novembre 1977, S.A.M. Société Générale de Travaux Monégasques c/ Société Nouvelle des Asphalteurs Français S.A. et Banque Nationale de Paris.

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Abstract🔗

Chèques

Règlement par chèque - Chèque non encaissé par le bénéficiaire - Absence de faute ou de négligence - Effet libératoire (non)

Résumé🔗

La remise d'un chèque en règlement d'une facture n'a pas d'effet libératoire tant que le bénéficiaire n'en a pas encaissé le montant. Si le chèque a été détourné et encaissé par un tiers, l'émetteur demeure débiteur s'il ne prouve pas que le défaut d'encaissement par le créancier provient d'une négligence ou d'une imprudence de celui-ci après réception matérielle du chèque.


Motifs🔗

La Cour

Attendu que le 16 juillet 1976, la Société Nouvelle des Asphalteurs Français, actuellement Société Girard S.N.A.F., ci-après désignée (S.N.A.F.) assignait la Société Générale de Travaux Monégasques (S.G.T.M.) en paiement de la somme de 42 254 F 87 - augmentée des intérêts de droit à compter du 21 octobre 1975 - montant d'une facture de travaux en date du 11 avril 1975 ;

Attendu que, sans contester le montant de cette facture mais soutenant l'avoir réglée en un chèque n° 6345.169 tiré sur la B.N.P. agence de Monte-Carlo, le 31 mai 1975, la S.N.A.F. appelait en intervention forcée cet établissement bancaire aux fins de versement aux débats des documents justificatifs du débit de son compte prouvant la réalité de ce paiement ;

Attendu qu'estimant que le règlement par chèque ainsi effectué au profit de la S.N.A.F. avait eu à son endroit un effet libératoire, la S.G.T.M. concluait au déboutement de cette Société des fins de son assignation ;

Attendu que, préalable jonction des instances, le Tribunal, par jugement du 31 mars 1977, relevait, au vu des documents produits, que le chèque litigieux avait été endossé à l'ordre de la demoiselle B., puis débité au compte de la S.G.T.M. le 11 juin 1975 ; que cet endossement était intervenu dans des conditions frauduleuses dans la mesure où le cachet de la S.N.A.F., « . » avait été remplacé au verso du chèque par la mention N.D.A.F., . et où la signature de l'endos n'émanait pas d'une personne habilitée par cette Société, étant observé qu'une plainte avait été déposée par la S.N.A.F. le 11 mars 1976, entre les mains du Doyen des Juges d'Instruction près le Tribunal de grande instance de Grasse, dans le ressort duquel ladite demoiselle B. était alors domiciliée, du chef de contrefaçon de signature ;

Attendu que, se fondant d'une part sur les dispositions de l'article 62 de l'Ordonnance Souveraine n° 1876 du 13 mai 1936 et le fait que le chèque litigieux n'avait nullement transféré les fonds nécessaires à son règlement du patrimoine du débiteur dans celui du créancier, d'autre part, sur la circonstance que la Société défenderesse ne rapportait pas et n'offrait pas de rapporter la preuve, dont elle avait seule la charge, que la S.N.A.F., après avoir matériellement reçu le chèque, avait par sa négligence ou son imprudence permis à un tiers de s'en emparer et commis ainsi une faute engageant sa responsabilité, le Tribunal faisait droit à la demande de cette Société et condamnait la S.G.T.M. à lui payer la somme de 42 254 F 87 ;

Attendu que le 3 juin 1977, la S.G.T.M. a relevé appel de cette décision ;

Que, réitérant les termes de son argumentation primitive, elle fait grief aux premiers juges d'avoir, par une interprétation par trop restrictive de la notion de paiement, méconnu les principes qui régissent les règlements par voie de chèque bancaire et dénié à ce moyen de paiement l'efficacité qui s'y attache habituellement dans toutes les transactions entre Sociétés commerciales ;

Qu'elle soutient que, si tant est que le chèque litigieux a été endossé d'une manière frauduleuse, elle ne saurait supporter les conséquences de cette irrégularité en payant deux fois la facture du 11 avril 1975, alors surtout que, dès réception de ce chèque, la S.N.A.F. est seule devenue responsable des conditions anormales de son endossement en sorte que, contrairement à l'opinion des premiers juges, il ne pouvait être fait droit à sa réclamation qu'autant que soit rapportée par elle la preuve de l'intervention d'un tiers encaisseur et par suite du défaut de règlement de ladite facture ;

Qu'elle demande donc à la Cour, par réformation du jugement entrepris, au principal de la décharger des condamnations prononcées à son encontre, de lui donner acte de son désistement d'appel à l'égard de la B.N.P. et de débouter la S.N.A.F. de son appel incident, subsidiairement et pour le cas où il en serait décidé autrement, de dire et juger que les intérêts de retard ne seraient dûs qu'à compter du 31 mars 1977, date du jugement précité ;

Attendu qu'en l'état des conclusions de la S.N.A.F. à son endroit, la B.N.P. intimée, demande qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur le mérite du recours de la S.G.T.M. et, par voie d'appel incident et adjonction au jugement du 31 mars 1977, que soit prononcée sa mise hors de cause ;

Attendu qu'au bénéfice des moyens de fait et de droit déjà invoqués en première instance et par adoption des motifs de la décision déférée, la S.N.A.F. conclut à la confirmation de cette décision, et par voie d'appel incident, à la condamnation de la S.G.T.M. au paiement des intérêts de droit - sur lesquels les premiers juges ont omis de statuer - dont la somme de 42 254 F 87 doit être assortie, et ce, à compter du 21 octobre 1975, date de la mise en demeure de payer ;

Sur ce,

Attendu que, s'il est constant que le chèque litigieux a été expédié par la S.G.T.M. au siège de la S.N.A.F. par voie postale, en règlement de la facture non contestée de 42 254,87 du 11 avril 1975, il résulte de la procédure pénale versée aux débats que ce chèque n'a pas été remis au destinataire habilité à l'endosser aux fins d'encaissement ou de versement à son compte ; que les éléments de cette procédure établissent, en effet, que ledit chèque a été irrégulièrement endossé à l'ordre d'une demoiselle B. par une personne non habilitée à signer pour le compte de la S.N.A.F. et qui a apposé à son verso un cachet tronqué imitant grossièrement celui de cette Société, contrefaçon en l'état de laquelle une plainte a été déposée et une information ouverte par le Parquet de Grasse ;

Attendu qu'il est de jurisprudence constante, approuvée par la Doctrine, que la remise d'un chèque n'est pas, à elle seule, libératoire à l'endroit du débiteur et que le paiement ne se produit que par l'encaissement des espèces ; que cette jurisprudence, a été consacrée à Monaco par l'article 62 de l'Ordonnance Souveraine n° 1876 du 13 mai 1936, aux termes duquel la remise d'un chèque en paiement accepté par un créancier n'entraîne pas novation, de sorte que la créance originaire subsiste avec toutes les garanties y attachées jusqu'à ce que ledit chèque soit payé ;

Attendu qu'en l'état de ces dispositions jurisprudentielles et législatives, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la S.G.T.M. ne s'était pas valablement libérée, et que, faute par elle de prouver que le défaut d'encaissement par la S.N.A.F. du chèque litigieux provenait d'une négligence ou d'une imprudence de celle-ci après réception matérielle de ce chèque, elle demeurait tenue au paiement de son montant dont le compte de cette dernière Société n'a jamais été crédité ;

Attendu qu'ayant assumé les risques du règlement par envoi postal d'un chèque à son créancier, de la facture du 11 avril 1975, la S.G.T.M. ne saurait valablement soutenir que la preuve du défaut d'encaissement par la S.N.A.F. incombe à cette Société non plus qu'elle n'est fondée à arguer pour faire échec à sa demande basée sur un principe de droit législativement consacré, de l'existence d'une procédure pénale suivie à Grasse en suite du dépôt d'une plainte par la Société intimée et susceptible de permettre à celle-ci d'obtenir, par voie de constitution de partie civile, paiement du chèque non encaissé ;

Attendu que la S.G.T.M. ne pouvant, dans ces conditions, exciper juridiquement du paiement de sa dette envers son créancier, il échet de la débouter des fins de son appel et de confirmer de ce chef la décision entreprise ;

Attendu qu'à l'examen de cette décision, il apparaît que les premiers juges ont omis de statuer sur les intérêts de droit réclamés par la S.N.A.F. dans son assignation du 16 juillet 1976, à compter du 21 octobre 1975, date de la mise en demeure par elle adressée à la S.G.T.M. aux fins de paiement ;

Attendu qu'il y a lieu, de ce chef, de faire droit à l'appel incident de la S.N.A.F. et de condamner la S.G.T.M. à lui payer les intérêts de droit sur la somme de 42 254 F 87, à compter de la date de la mise en demeure ;

Attendu qu'il échet de mettre la B.N.P. purement et simplement hors de cause ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Et ceux non contraires des premiers juges ;

En la forme, reçoit la S.G.T.M. en son appel principal et la Société Girard-S.N.A.F. et la B.N.P. en leur appel incident ;

Au fond,

Confirme la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la S.G.T.M. à payer à la S.N.A.F. la somme de quarante deux mille deux cent cinquante quatre francs, quatre vingt sept centimes (42 254,87) ;

Ajoutant à cette décision et faisant droit à l'appel incident de la S.N.A.F., condamne la S.G.T.M. à lui payer à compter du 21 octobre 1975, les intérêts de droit sur la somme de 42 254 F 87 ;

Décerne à la S.N.A.F. et à la B.N.P. les donné acte par elles sollicités et visés aux motifs ;

Met la B.N.P. purement et simplement hors de cause ;

Composition🔗

MM. de Monseignat prem. pr., Default prem. subst. gén. MMe Sanita, Marquilly, Clérissi av. déf et Muscat (du barreau de Nice) av.

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