Cour d'appel, 25 octobre 1977, L. c/ Ministre d'État

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Abstract🔗

Fonctionnaires publics

Action en responsabilité par faute de l'Administration - Tribunal de première instance - Compétence (oui) - Non affectation d'un bureau particulier - Activité insuffisante au gré du fonctionnaire - Préjudice moral (non)

Résumé🔗

Une action en responsabilité pour faute et en indemnité engagée par un fonctionnaire contre l'Administration ne peut être portée que devant le Tribunal de première instance, juge de droit commun en matière administrative, seul habilité à rechercher l'existence de la faute alléguée de l'Administration.

Le fait, pour un fonctionnaire de ne pas disposer, pendant un certain temps, d'un bureau particulier et celui de ne pas se voir réclamer par l'Administration l'activité continue et débordante qu'il aurait souhaitée ne peuvent être considérés comme étant de nature à nuire sur le plan moral à ce fonctionnaire et à justifier une quelconque réparation.


Motifs🔗

La Cour

Statuant sur l'appel régulièrement interjeté par le sieur P. L., à l'encontre d'un jugement contradictoirement rendu par le Tribunal de première instance, lequel s'est déclaré incompétent pour connaître de la demande dudit L. et l'a déclaré, en conséquence, irrecevable en son action ;

Attendu que par arrêté municipal du 5 mars 1975 le sieur P. L., fonctionnaire de l'Administration et Chef de Bureau à la Bibliothèque Municipale, était placé en position de détachement pour une période de cinq ans, à compter du 10 mars suivant et mis à la disposition du Gouvernement Princier ; que par lettre du 27 mars 1975, il était informé par le Directeur de la Fonction Publique que le Conseil de Gouvernement, dans sa séance du 12 mars précédent, avait décidé de l'affecter à la Direction de l'Éducation Nationale afin de lui permettre de poursuivre les travaux qu'il avait entrepris, dans l'exercice de ses précédentes fonctions, en vue de l'établissement d'une bibliographie nationale ; qu'il était invité à prendre contact au plus tôt avec M. N., Directeur de l'Éducation Nationale dont il dépendrait désormais directement ;

Attendu que le 7 avril 1975, ce dernier adressait à L. une lettre lui précisant l'objet de la mission qu'il entendait lui confier et qui consistait à dresser un rapport très détaillé sur les bibliothèques d'établissements scolaires déterminés ainsi que sur les bibliothèques de classes de ces établissements ; que, dans ladite lettre le Directeur de l'Éducation Nationale ajoutait qu'il conviendrait d'étendre cette enquête jusqu'aux bibliothèques les plus rudimentaires créées dans certains établissements pré-scolaires et primaires nommément désignés ;

Attendu que, s'estimant lésé par les décisions prises dans les conditions ci-dessus rappelées et reprochant à l'Administration de s'être rendue coupable à son endroit de manœuvres délibérées assorties d'une intention de nuire, L. assignait, par exploit du 22 mars 1976, le Ministre d'État en paiement de la somme de 100 000 francs au montant de laquelle il évaluait le préjudice moral résultant pour lui des agissements prétendument fautifs de l'Administration ;

Qu'il soulignait, à l'appui de son action, le fait qu'il avait rempli, dans le délai d'un mois, la mission qui lui avait été confiée le 7 avril 1975 et qu'il n'avait pu obtenir, depuis le mois de mai suivant, qu'un nouveau travail lui soit confié ni même qu'un bureau administratif soit mis à sa disposition pour lui permettre de poursuivre ses travaux de bibliographie ;

Attendu que le Ministre d'État concluait à l'irrecevabilité de la demande, et très subsidiairement sur le fond, au déboutement de L. des fins de son assignation ;

Attendu que par jugement en date du 31 mars 1977, le Tribunal s'est déclaré incompétent pour connaître des prétentions du demandeur et a déclaré ce dernier irrecevable en son action ; que pour justifier ainsi son incompétence, il a estimé qu'il n'avait pas à s'immiscer dans les rapports unissant un fonctionnaire administratif à ses supérieurs hiérarchiques, ni à apprécier la nature des fonctions à lui confiées non plus que les conditions dans lesquelles celles-ci sont accomplies, sous peine de s'ériger en censeur de l'Administration, rôle qui, selon les premiers juges, n'appartiendrait pas aux juridictions judiciaires eu égard à son incompatibilité avec les dispositions de l'article 6 de la Constitution qui assure la séparation des fonctions administratives, législatives et judiciaires ;

Attendu que suivant exploit du 25 mai 1977, L. a relevé appel du jugement précité ; qu'il fait grief aux premiers juges d'avoir injustement décliné leur compétence, dès lors que l'objet de sa demande ne tend pas à faire apprécier les conditions dans lesquelles lui avait été confiée une mission par ses supérieurs hiérarchiques ou de rechercher si celle-ci a été ou non menée à bonne fin, mais au contraire à faire constater une faute de l'Administration, laquelle après avoir décidé son détachement dans l'intérêt du service n'a pas été à même de l'affecter à une tâche définie et de lui fournir les moyens matériels pour l'accomplir ;

Qu'il soutient que le Tribunal de première instance est compétent pour connaître du contentieux de la réparation d'un préjudice causé à la suite d'une faute commise par l'Administration et qu'en l'espèce, il appartenait à cette juridiction d'apprécier l'existence de la faute alléguée, d'en déterminer le degré de gravité et d'en réparer les conséquences dommageables ; que, réitérant, sur le fond, les imputations par lui formulées dans son exploit introductif d'instance, il insiste sur le fait que nonobstant son affectation auprès de la Direction de l'Éducation Nationale, ensuite de son détachement auprès du Gouvernement Princier, il ne dispose toujours pas, depuis 1975 d'un emploi défini, non plus que des moyens matériels nécessaires à l'accomplissement des tâches qui lui avaient été assignées ; qu'il estime que l'impéritie ainsi manifestée à son endroit par l'Administration relève d'une intention délibérée de lui nuire ou tout au moins d'une défiance injustifiée constitutive d'une brimade intolérable qui le place indûment au ban de l'Administration ;

Qu'il demande, en conséquence à la Cour de réformer le jugement querellé du 31 mars 1977, de condamner le Ministre d'État es qualités, à réparer l'entier préjudice résultant pour lui des agissements fautifs de l'Administration et d'arbitrer à tel montant qu'il appartiendra le montant de cette réparation ;

Attendu que le Ministre d'État, intimé, considère que les premiers juges ont exactement retenu, au soutien de leur jugement, que les décisions administratives prises à l'égard de l'appelant n'ont fait l'objet de sa part d'aucun recours, et relevé que, contrairement à ses allégations, il est bien titulaire d'un poste administratif comportant l'exercice de fonctions conformes à sa compétence même si, ab initio, un local ou un emplacement ad hoc n'a pu être mis à sa disposition, étant observé que, nonobstant le caractère itinérant desdites fonctions, L. s'est vu attribuer récemment un bureau individuel que la nature de sa mission ne rendait d'ailleurs pas indispensable ;

Qu'il estime que c'est à bon droit que le Tribunal de première instance a décliné sa compétence puisque statuer sur le fond du litige qui lui était soumis eût été, selon lui, trancher indirectement, mais nécessairement une question relevant de la seule appréciation de l'Administration et s'ériger indûment en censeur des initiatives que celle-ci a cru devoir prendre pour l'utilisation des compétences d'un de ses préposés ;

Qu'objectant enfin la conservation par l'appelant de la rémunération afférente à son grade et à son ancienneté, ainsi que la reconnaissance expresse par l'Administration de ses qualités professionnelles - les premiers juges ayant justement relevé, au demeurant, que la faute imputée à celle-ci n'était nullement prouvée -, il conclut au déboutement de L. des fins de son recours et à la confirmation du jugement entrepris ;

Sur ce,

Attendu que si la Constitution Monégasque proclame en son article 6 la séparation des fonctions administrative, législative et judiciaire, il n'en demeure pas moins qu'aux termes de l'article 12 de la loi 783 du 15 juillet 1965 sur l'Organisation judiciaire, le Tribunal de première instance connaît, comme juge de droit commun en matière administrative et en premier ressort, de tous les litiges autres que ceux dont la connaissance est expressément attribuée par ladite constitution ou la loi au Tribunal Suprême ou à une autre juridiction ;

Or, attendu que le Tribunal Suprême ne connaît, en matière administrative, outre les recours en cassation formés contre les décisions des juridictions administratives statuant en dernier ressort, que des recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre les décisions des diverses autorités administratives et les Ordonnances Souveraines d'application et des recours en interprétation et en appréciation de validité desdites autorités et ordonnances ; qu'il est à peine besoin de relever que si l'arrêté du 5 mars 1975 de l'autorité municipale plaçant L. en position de détachement pour une période de 5 ans auprès du Gouvernement Princier, ainsi que la décision du Conseil de Gouvernement du 12 mars suivant, affectant l'appelant à la Direction de l'Éducation Nationale, ont constitué des actes de la puissance publique contre lesquels ce dernier aurait pu se pourvoir devant le Tribunal Suprême précité aux fins d'annulation d'interprétation ou d'appréciation de validité - ce qu'il n'a pas cru devoir faire pour des raisons dont il était seul juge - il apparaît que la demande formée devant les premiers juges ne tendait nullement aux fins énumérées ci-dessus, mais simplement à faire constater la carence de l'administration à son égard et à la faire sanctionner par l'allocation de dommages-intérêts ;

Attendu qu'une telle action en responsabilité pour faute et en indemnité, engagée par L. contre l'Administration, ne pouvait donc être portée que devant le Tribunal de première instance, juge de droit commun en matière administrative, seul habilité à rechercher l'existence de la faute alléguée de l'Administration et à évaluer le quantum du préjudice direct qu'elle a pu occasionner ;

Que les premiers juges ayant cru devoir se déclarer incompétents pour statuer sur une telle action considérée à tort comme tendant à faire censurer l'Administration dans ses rapports avec l'un de ses préposés, il échet de réformer leur décision et de statuer au fond ;

Attendu que s'il ressort des éléments de la cause que le fait, par L., de ne pas disposer pendant un certain temps d'un bureau particulier - qui lui a été en définitive affecté - a pu lui paraître normal eu égard à la mission qui lui avait été confiée et qu'il a d'ailleurs accomplie, rien n'établit que l'Administration ait entendu se désintéresser de son sort et le mettre sciemment à l'égard de ses collègues dans un état de capitis diminutio générateur du préjudice moral dont il demande réparation ;

Que si tant est que l'appelant - dont ni le grade ni la rémunération n'ont été modifiés par sa nouvelle affectation - ne s'est pas vu réclamer par l'Administration une activité continue et débordante comme il l'aurait souhaité, cette circonstance ne saurait être considérée comme étant de nature à lui nuire au plan moral et à justifier de ce chef une quelconque réparation ;

Attendu que L. ne rapportant donc pas la preuve des faits qu'il impute à faute à l'Administration, il y a lieu de le débouter des fins de son exploit d'assignation reprises en cause d'appel ;

Attendu que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Réforme le jugement du Tribunal de première instance en date du 31 mars 1977 en ce que cette juridiction s'est déclarée incompétente pour connaître de la demande de L. et a déclaré ce dernier irrecevable en son action ;

Statuant au fond,

Constate que L. ne rapporte pas la preuve des faits qu'il impute à faute à l'Administration monégasque ;

Le déboute, en conséquence des fins de son recours et le condamne aux dépens ;

Composition🔗

MM. de Monseignat prem. pr., Default prem. subst. gén., MMe Marquilly, Marquet av. déf. et Sbarrato av.

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