Cour d'appel, 5 avril 1977, Dame B. c/ V.

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Abstract🔗

Divorce

Injures - Gravité - Appréciation

Résumé🔗

La gravité des injures, de caractère subjectif, doit être appréciée en fonction du comportement coupable du conjoint qui les invoque ; doivent être examinés avec la plus extrême réserve et prouvés de façon particulièrement complète les faits allégués par un époux responsable de la rupture de la vie conjugale et désireux de recouvrer à tout prix sa liberté.


Motifs🔗

La Cour

Statuant sur l'appel régulièrement interjeté, en la forme, par la dame E. B., épouse V., à rencontre du jugement du Tribunal en date du 13 mai 1976, lequel a prononcé le divorce entre elle et le sieur V. V. à leurs torts respectifs, en statuant sur la demande principale de son mari et sa propre demande reconventionnelle ;

Attendu qu'elle reproche à ce jugement d'avoir retenu comme établi contre elle, à défaut d'adultère, un comportement gravement injurieux en l'état d'un constat du 19 juin 1975, au motif du temps mis à ouvrir la porte à l'huissier, de l'indigence des raisons données pour expliquer la présence d'un tiers dans son appartement, et ce en faisant état, pour conforter ces indications, de faits relatés en un rapport dressé par un sieur P., détective privé à Nice, qui n'était nullement qualifié ni autorisé à exercer en Principauté son activité suspecte ou pour le moins tendancieuse en raison de la rémunération qu'il recevait dans un but bien précis ; qu'elle demande donc d'écarter entièrement ce rapport des débats et de retenir que les faits relatés au constat n'établissent ni l'adultère ni même une injure grave, le sieur R., son supérieur hiérarchique n'étant venu chez elle que pour l'aviser d'un changement de service, comme il lui était arrivé de le faire à deux ou trois reprises dans les cinq ou six mois précédents ;

Qu'elle conclut donc à l'infirmation du jugement et au prononcé du divorce aux torts exclusifs de V., dont l'adultère est établi sans équivoque notamment par un constat du 8 juillet 1975, alors qu'il vit en concubinage depuis son abandon du domicile conjugal remontant à de nombreuses années ; qu'elle requiert l'allocation d'une pension alimentaire de 1 500 francs par mois ;

Attendu que V. conclut à la confirmation du jugement entrepris, bien fondé en droit et en fait en l'état de l'adultère de la dame B. qui a longtemps joué le rôle d'épouse irréprochable et délaissée jusqu'au moment où a pu être établi son véritable comportement, à la fois par le constat et par le rapport de M. Portal, détective privé, dont aucune disposition légale n'interdit l'activité à Monaco et dont les déclarations, toujours valables comme attestation, sont corroborées à la fois par les termes du constat dressé à 8 heures 20 et par le propre avec de la dame B., reconnaissant que le sieur R. était venu chez elle à plusieurs reprises ;

Attendu qu'il résulte de documents versés aux débats et notamment d'un jugement du Tribunal du 1er février 1968, déboutant, après enquête, V. d'une première demande de divorce, que celui-ci qui entretenait une liaison adultère depuis 1961, a quitté le domicile conjugal en 1963 pour vivre en concubinage avec une demoiselle L. L., fait constaté le 24 janvier 1967 par Maître Marquet, huissier ; qu'une seconde liaison avec une demoiselle N. G. a fait l'objet, le 8 juillet 1975, au domicile de celle-ci d'un nouveau constat de valeur probante incontestée ; que c'est donc à juste titre que le Tribunal, en un chef de sa décision qui ne fait l'objet de contestation de la part d'aucune des parties, a prononcé sur la demande reconventionnelle, le divorce aux torts du mari ;

Que l'objet de l'appel est limité à l'infirmation de la partie du jugement accueillant la demande principale et prononçant également le divorce aux torts de la femme ;

Attendu que le Tribunal a considéré avec raison que les constaté opérées le 19 juin 1975 au domicile de la dame B. où était cependant trouvé à 8 heures 20 le sieur R., sous-directeur de l'Hôtel Métropole où celle-ci travaille comme téléphoniste, n'établissaient pas l'existence d'un adultère, les deux personnes se trouvant habillées et le lit non défait, mais qu'il les a tenues comme révélatrices d'un comportement injurieux à l'égard de V., tirant argument :

  • du temps assez long (5 à 6 minutes) mis pour ouvrir à l'huissier et au Commissaire de Police, qui aurait été suffisant à la dame B. et au sieur R. pour se mettre en tenue correcte ;

  • de l'indigence de l'explication donnée par le sieur R., de sa présence motivée par une raison de service, de la fréquence de telles visites attestée par le rapport du détective P., pouvant être retenu comme élément de conviction dès l'instant où il est confirmé par le constat et où la fréquence de ces visites, appréciées à 8 entre le 17 avril et le 1er juin, serait incontestée par la dame B. ;

Attendu cependant que, sur la fréquence des visites, le Tribunal a retenu inexactement qu'elle était reconnue par la dame B., alors que celle-ci n'a jamais admis que 2 ou 3 visites dans l'espace de 5 à 6 mois ; qu'il a donc sur cette périodicité, très importante pour le sort du litige, fait entièrement confiance aux indications du détective Portal, tout en reconnaissant que celles-ci ne peuvent être retenues que dans la mesure où elles sont corroborées par d'autres éléments ;

Attendu, en effet, qu'indépendamment de l'irrégularité administrative des diligences accomplies à Monaco, sans autorisation, par le sieur Portal, les déclarations de celui-ci, admissibles en tant qu'attestation, ne peuvent l'être qu'avec la plus extrême réserve en raison de sa subordination vis-à-vis de son client et de la tendance naturelle à justifier le salaire qu'il a reçu dans un but bien déterminé ; qu'il ne peut donc être fait état de faits et circonstances excédant les constatations de l'huissier qu'il a rendues possibles et qu'il convient d'examiner ces dernières, exclusives de l'adultère, dans le cadre des injures graves prévues par l'article 3 de l'Ordonnance du 3 juillet 1907 ;

Attendu que la gravité des injures, de caractère subjectif, doit être appréciée en fonction des circonstances et du comportement coupable du conjoint qui se déclare injurié, ainsi que le Tribunal le rappelait en son jugement du 1er février 1968 ; qu'il a toujours été jugé que doivent être examinés avec la plus extrême réserve et prouvés de façon particulièrement complète les faits allégués par un époux responsable de la rupture de la vie conjugale et désireux de recouvrer à tout prix sa liberté ; que le comportement de la dame B., sans doute équivoque en l'état des faits et circonstances relatés au constat et qui aurait pu être susceptible d'affecter un mari attaché à son ménage, ne présente pas, vis-à-vis de V., qui avait abandonné son épouse depuis plus de 10 ans pour vivre avec d'autres femmes, le caractère d'injures graves au sens de la loi, de nature à justifier le prononcé du divorce à son profit ;

Qu'il y a donc lieu, infirmant de ce chef le jugement entrepris, de rejeter la demande principale de V. aux torts exclusifs de qui doit être prononcé le divorce ;

Attendu qu'à juste titre la dame B. demande la continuation à titre de pension alimentaire, de la part contributive aux frais d'entretien à laquelle V. avait été condamnée ; qu'elle sollicite même la majoration de la somme allouée ;

Attendu que l'Ordonnance du juge tutélaire du 20 février 1975 constatait l'accord des parties pour fixer à 1 000 francs par mois cette part contributive ; qu'en raison de la hausse du coût de la vie depuis cette date et de l'importante disparité des ressources respectives des parties, il y a lieu de fixer à 1 200 francs par mois le montant de la pension alimentaire que devra désormais payer V. ;

Attendu que les dépens doivent être mis à la charge de ce dernier en raison de sa succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Accueille en la forme la dame B. épouse V. en son appel ; l'y déclare fondée ;

Infirme le jugement du Tribunal du 13 mai 1976, en ce qu'il a fait droit à la demande principale formée par V. ; déboute celui-ci des fins de son action en divorce ; confirme ledit jugement en ce qu'il a accueilli la demande reconventionnelle de la dame B. ; prononce, en conséquence le divorce aux torts et griefs exclusifs du mari avec toutes conséquences de droit ;

Condamne V. à payer à la dame B. une pension alimentaire de mille deux cents francs (1 200 F) par mois ;

Confirme le jugement en ce qu'il a commis Maître Crovetto, notaire, pour procéder à la liquidation du régime matrimonial entre les époux et M. Huertas, Premier Juge, pour suivre ces opérations et faire rapport en cas de difficultés ;

Composition🔗

MM. J. de Monseignat prem. pr., Default prem. subst. gén., MMe Sanita, Boéri av. déf. et Léandri (du barreau de Nice) av.

Note🔗

Le pourvoi contre cet arrêt a été rejeté par arrêt de la Cour de Révision du 26 septembre 1977.

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