Cour d'appel, 22 juin 1976, S.A.M. Hôtel Bristol c/ S.C.I. La Rente Immobilière.
Abstract🔗
Référés
Baux commerciaux - Juge des référés - Pouvoirs - Résiliation du bail et expulsion (oui) - Octroi de délai (non)
Résumé🔗
En matière de baux commerciaux, si le juge des référés peut, conformément à la clause résolutoire insérée au contrat de bail, constater la résiliation de ce bail et ordonner l'expulsion du preneur, l'article 1099 du Code Civil ne prévoit pas la possibilité pour le juge des référés d'accorder des délais de paiement.
Motifs🔗
La Cour
Statuant sur l'appel régulièrement interjeté en la forme, le 30 décembre 1975 par la Société Anonyme monégasque Hôtel Bristol, agissant par son représentant légal, d'une ordonnance de référé rendue, le 11 juillet 1975 par le Président du Tribunal de Première Instance et signifiée le 23 décembre 1975 ;
Attendu que, par cette ordonnance, le Président du Tribunal :
1° à la requête de la Société Civile Immobilière La Rente Immobilière, dont le siège est à Paris, propriétaire d'un immeuble sis à Monaco, ., à usage d'hôtel et restaurant, dont la Société Anonyme « Hôtel Bristol » était locataire, a constaté la résiliation de plein droit du bail authentique liant les parties, reçu le 24 décembre 1968 par Maître Crovetto, notaire, et ce, en application d'une clause résolutoire inscrite dans ce bail stipulant : « qu'à défaut de paiement à son échéance d'un seul terme de loyer... il serait, si bon semblait au bailleur, résilié de plein droit et sans formalité judiciaire, un mois après un simple commandement de payer demeuré sans effet et contenant déclaration par le bailleur de son intention d'user de la présente clause, l'offre ou l'exécution ultérieure ne pouvant, si bon semblait au bailleur, arrêter l'effet de cette clause... et l'expulsion du preneur pouvant avoir lieu par simple ordonnance de référé rendue par Monsieur le Président du Tribunal de Première Instance de la Principauté » ;
2° a ordonné l'expulsion de la Société Hôtel Bristol et celle de tous occupants de son chef, dans le délai d'un mois ;
3° a condamné ladite société aux dépens ;
Attendu que, pour statuer ainsi, sur la requête de la Société La Rente Immobilière dans laquelle celle-ci, indiquait qu'elle entendait se prévaloir de la clause résolutoire insérée dans le bail consenti par elle à la Société Hôtel Bristol, et faisait connaître que par un premier commandement en date du 31 décembre 1971, elle avait sans résultat sommé cette dernière société de lui payer 450 037 F 67, représentant les loyers dus par elle depuis le 1er trimestre 1971 et qu'également était resté sans effet un deuxième commandement du 21 mars 1975, par lequel elle avait demandé le versement de 1 662 371 F 59 dont sa locataire était débitrice le 30 décembre 1974, à titre de loyers échus, le premier juge a relevé que la société défenderesse « ne contestait pas le principe de la demande dirigée contre elle » et sollicitait seulement « l'octroi d'un délai qui lui permettrait de réaliser une opération financière de nature à mettre fin aux difficultés qu'elles connaissait » ;
Qu'il a estimé qu'en l'état du droit monégasque, et notamment des dispositions de l'article 1099 du Code Civil, différentes de celles de l'article 1244 du Code Civil français, il n'avait pas compétence pour accorder ce délai et que, dans ces conditions, application devrait être faite de la clause résolutoire régissant les rapports des parties, à défaut par la Société Hôtel Bristol d'avoir acquitté régulièrement ses loyers et d'avoir satisfait aux commandements qui lui avaient été notifiés ;
Attendu qu'aux termes de son acte d'appel, après avoir déclaré que l'expulsion prononcée à son encontre entraînait la disparition de son activité et le licenciement d'un nombreux personnel, la Société appelante indique qu'antérieurement à l'instance en référé introduite contre elle par la Société « La Rente Immobilière », celle-ci avait obtenu du Président du Tribunal, le 1er mars 1972, l'autorisation de prendre un nantissement sur son fonds de commerce à concurrence de 550 000 francs pour garantir les loyers dont elle était créancière ; qu'elle prétend que ce nantissement était de nature « à lui donner toute satisfaction pour la garantie totale du paiement de ses loyers, alors que la valeur du fonds de commerce nanti et celle de ses installations et du matériel d'exploitation est très largement supérieure au montant des loyers arriérés échus » ; qu'elle ajoute qu'elle a, d'ailleurs, comme elle l'avait déjà mentionné dans une protestation du 21 avril 1975 au commandement qui lui avait été fait le 21 mars 1975, versé entre les mains de l'avocat-défenseur de la Société La Rente Immobilière, au cours de l'instance en validation du nantissement, la somme de 555 000 francs, par un chèque sur la Société Marseillaise de Crédit, tiré le 24 avril 1974, et remis à sa bailleresse plusieurs lettres de change acceptées « en garantie du solde qui pouvait être dû » ; qu'elle ajoute encore qu'une très importante compagnie d'assurances a fait connaître à la Société La Rente Immobilière « son intention d'acquérir l'Hôtel de celle-ci à Monaco, et de régler, à ses lieu et place, les loyers arriérés venus à échéance, et que le principe de cette acquisition et de ce règlement a été accepté par la Société intimée ;
Attendu, en outre, qu'elle soutient que le prix du loyer de son établissement est nettement supérieur à la valeur locative, en l'état d'une clause d'indexation dont il est assorti ;
Attendu que finalement, après avoir exposé tous ces faits et en articulant que c'est contrairement » à leur réalité et aux dispositions de la loi « que le premier juge a refusé de lui accorder le délai sollicité par elle, la Société Hôtel Bristol demande à la Cour de dire qu'il doit être sursis à statuer sur la contestation de la résiliation de son bail et son expulsion jusqu'à la réalisation prochaine d'accords qui doivent mettre fin à tout litige, ou que de larges délais lui soient octroyés pour régulariser sa situation ;
Attendu qu'en contestant que la Société Hôtel Bristol lui ait versé par chèque la somme de 555 000 francs et lui ait remis des lettres de change acceptées, en paiement de loyers arriérés, après le nantissement pris par elle, et en affirmant qu'aucun accord pour la vente de son immeuble à usage d'hôtel, à Monaco, n'est intervenu, la Société La Rente Immobilière conclut à la confirmation de l'Ordonnance déférée ; qu'elle demande que la Société appelante soit condamnée à lui verser un franc de dommages-intérêts pour » procédure abusive « ;
Attendu, au fond, d'une part, qu'il est constant qu'aux dates des 31 décembre 1971 et 21 mars 1975, la Société Hôtel Bristol était débitrice de loyers échus et exigibles, et qu'elle ne les a pas acquittés dans le délai d'un mois qui lui avait été imparti par les commandements qui lui ont été notifiés aux dates précitées, conformément aux stipulations de la clause résolutoire insérée dans son bail et expressément rappelée en ces exploits ;
Que, par suite, c'est à juste titre qu'en application de cette clause, le premier juge a constaté la résiliation de ce bail et ordonné son expulsion ; que ces mesures s'imposaient à lui pour que soit assuré le respect de la convention intervenue entre les parties, qui faisait la loi entre elles, sans qu'il ait pu en tempérer les effets ;
Que, d'autre part, c'est à juste titre également qu'il a estimé qu'il n'était pas compétent pour accorder le délai sollicité devant lui par la Société Hôtel Bristol ;
Qu'en effet, comme il l'a déclaré justement, l'article 1099 du Code Civil monégasque différent de l'article 1244 du Code Civil français, ne prévoit nullement la possibilité pour le juge des référés d'accorder des délais pour un paiement ;
Que, d'ailleurs et en tout état, il convient de constater que l'article 1099 sus visé est inapplicable en matière de location de locaux commerciaux ; que l'obtention d'un délai par un locataire commercial pour se libérer des loyers dus par lui ne peut avoir lieu qu'en vertu de l'article 29 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948 sur les locaux commerciaux, suivant lequel » le locataire qui n'est pas en mesure de s'acquitter a la faculté, huit jours au moins avant l'échéance, de saisir le Président du Tribunal d'une demande d'obtention de délais, lesquels ne pourront excéder la durée du terme en cours « ;
Or, attendu, en l'espèce, que la Société Hôtel Bristol n'a jamais demandé l'application de ces dispositions ;
Attendu, au surplus, que les autres faits ou moyens invoqués devant la Cour par la Société appelante pour que soit infirmée la décision entreprise, ne sont qu'inopérants ;
Que le fait que la Société La Rente Immobilière ait pris un nantissement, mesure conservatoire, sur le fonds de commerce de sa débitrice, ne saurait faire obstacle au jeu de la clause résolutoire par laquelle les parties étaient liées ;
Qu'en outre, il n'est pas justifié que la Société Hôtel Bristol ait, comme elle le prétend, versé une somme de 555 000 francs et remis des lettres de change acceptées à sa bailleresse, à la suite du nantissement précité ;
Qu'enfin, la Société appelante n'établit pas que des accords devant mettre fin au litige existent, et que si elle estimait que le prix de son loyer dépassait la valeur locative, il lui eût appartenu, ce qu'elle n'a pas fait, d'en demander la révision, en vertu des articles 21 et suivants de la loi n° 490 du 24 novembre 1948,
Attendu, dès lors, que l'ordonnance déférée doit être confirmée, sans qu'il y ait lieu de s'arrêter à d'autres moyens ;
Attendu, sur la demande en paiement d'un franc de dommages-intérêts formée par la Société La Rente Immobilière, contre la Société Hôtel Bristol pour » procédure abusive «, qu'il ne saurait être fait droit à cette demande ; qu'en interjetant appel, la Société Hôtel Bristol a usé normalement de la voie de recours qui lui était ouverte ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
Confirme l'Ordonnance déférée,
Dit qu'elle recevra son plein et entier effet ;
Rejette la demande de dommages-intérêts formée par la Société La Rente Immobilière pour » procédure abusive " ;
Composition🔗
M. J. Monseignat prem. pr., Mme François juge sup. dél. au parquet gén., MMe Boisson, Lorenzi av. déf., Biaggi et Chresteil (tous deux du barreau de Paris) av.