Cour d'appel, 27 mai 1975, Dame V. Vve V. c/ S. (venant aux droits de sa femme M. V. décédée en cours d'instance) et autres.

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Abstract🔗

Action en justice

Succession - Époux séparés de biens - Nécessité d'une liquidation de droits des époux - Époux survivant - Qualité pour poursuivre la liquidation de la succession (oui)

Résumé🔗

Le fonctionnement du régime de séparation de biens n'exclut pas, au moment où il prend fin, la nécessité d'une liquidation des droits des époux, notamment lorsque leurs intérêts se sont enchevêtrés durant la vie commune ou lorsque l'un a confié à l'autre l'administration de tout ou partie de ses biens personnels. L'époux survivant est recevable dans son action qui tend à la liquidation de son régime matrimonial.


Motifs🔗

LA COUR,

Statuant sur l'appel régulièrement relevé par la dame M. V. Veuve M. V., d'un jugement du Tribunal de Première Instance de Monaco du 6 juin 1974, lequel l'a déboutée de sa demande en paiement de la somme de 42 412 F 07 formée contre les héritiers de son défunt mari ; statuant également sur l'appel incident formé à titre subsidiaire par les hoirs V. ;

Attendu que la dame M. V. a épousé le 24 avril 1948 le sieur M. V., divorcé en premières noces d'une dame T. dont il avait eu trois enfants : M. V. épouse S., mère de M. S. épouse M., M. V. et T. V., épouse M. ; que les époux avaient passé en l'étude de Maître Rey, notaire à Monaco, un contrat de séparation de biens qui comportait notamment la clause suivante de présomption de propriété : « l'argent comptant et les valeurs au porteur seront réputés appartenir à celui des époux qui les aura en sa possession ou au nom de qui ils seront déposés chez tous banquiers, établissements de crédit ou tiers, sous réserve de l'administration de la preuve contraire » (article 3e, alinéa 4) ;

Attendu que la dame V. a été victime d'un accident de la circulation le 11 septembre 1957 ; qu'un jugement du Tribunal correctionnel de Grasse du 20 mars 1958 lui a alloué une provision de 10 000 francs, payée selon un chèque émis le 6 juin 1958 par la Compagnie d'Assurances du prévenu, endossé en blanc par la dame V. et par elle remis à son mari qui, selon reçu non numéroté, l'a fait porter au crédit de son compte personnel ouvert à l'Agence de Monte-Carlo de la Barclays Bank ; qu'un second jugement du Tribunal correctionnel de Grasse du 21 mars 1961 a évalué à 70 257 F 77 le préjudice total de la dame V. ; qu'en exécution de cette décision, la Compagnie d'Assurances du prévenu lui a remis un chèque de 62 502 F 57 tiré le 28 juin 1961 ; que la dame V. après l'avoir endossé en blanc, a remis ce chèque à son mari lequel selon reçu n° 090596 l'a fait également porter au crédit de son compte personnel de la Barclays Bank ;

Attendu que M. V. est décédé le 18 mai 1971 en l'état d'un testament olographe du 2 avril 1966 par lequel il léguait en quatre parts égales la totalité de ses biens à ses trois enfants et à sa petite fille M. ;

Attendu que la dame V. a établi un projet d'état liquidatif de son régime matrimonial sur lequel figurent à son actif et pour un total de 84 802 F 57, diverses sommes lui appartenant qui auraient été remises à son mari en espèces ou sous forme de chèques, soit :

  • pour 72 502 F 57 le montant des dommages-intérêts sus visés ;

  • pour 10 000 francs, remise de cette somme le 26 juillet 1961 par la dame V. à son mari ;

  • pour 1 200 francs le prix de vente d'une voiture appartenant à la dame V. et déposé en espèces le 6 novembre 1957 au compte de la Barclays Bank du sieur V. ;

  • pour 1 100 francs le remboursement partiel entre les mains du sieur V., d'un prêt consenti par la dame V. ;

Attendu que cette dernière, reconnaissant en contrepartie être débitrice de son mari pour 42 390 francs 50, a assigné les hoirs V. en paiement « conjoint et solidaire » du solde créditeur soit 42 412 F 07 ;

Attendu que le Tribunal a débouté la dame V. de sa demande au motif qu'en s'abstenant pendant 10 ans de réclamer le montant de l'indemnité reçue en réparation de l'accident dont elle avait été victime, elle avait ainsi admis que son mari pouvait disposer desdites sommes ; qu'au surplus, il ressortait de l'état de liquidation susvisé que des paiements concernant l'un des époux avaient été effectués par l'autre, en sorte que s'était créée entre eux une communauté de fait ; qu'enfin n'était assortie d'aucune justification l'allégation de la demanderesse selon laquelle c'est en raison de son état de santé précaire et du caractère violent de son époux qu'elle n'avait pas réclamé du vivant de ce dernier la restitution des sommes lui revenant ;

Attendu qu'auparavant, le Tribunal, aux motifs que la dame V. était étrangère à la succession et n'avait de ce fait aucune qualité pour en poursuivre la liquidation, avait rejeté la fin de non recevoir tirée par les hoirs V. de ce que n'avait pas été dressé, préalablement à l'assignation, le procès-verbal de difficultés prévu par l'article 913 du Code de procédure civile ;

Attendu que la dame V. fait valoir, pour critiquer la décision entreprise, que sa propriété sur les deux chèques de 10 000 francs et 62 502 F 57 était établie et d'ailleurs non contestée par ses adversaires ; que sa renonciation à son droit de réclamer la restitution des sommes correspondantes ne pouvait se déduire de son inaction pendant dix ans, aucune prescription ne lui étant opposable ; que la preuve n'était pas établie de sa volonté de gratifier son mari ou de rembourser certaines dépenses faites par celui-ci à son profit ou dans l'intérêt du ménage ; que la preuve de telles dépenses, autres que celles visées dans son état liquidatif, n'était pas elle-même rapportée ; que le petit nombre d'opérations comprises dans ledit état n'était pas de nature à constituer une communauté de fait et qu'au surplus, même s'il en avait été ainsi, ladite communauté aurait dû être liquidée et partagée, les hoirs V. ne pouvant s'en approprier l'actif ;

Qu'elle conclut, en conséquence, à la réformation du jugement entrepris et à l'adjudication de son exploit introductif ; qu'à titre subsidiaire et pour le cas où ses adversaires contesteraient son décompte, elle sollicite la désignation d'un expert chargé de vérifier ses prétentions, notamment par l'examen des relevés bancaires ; qu'enfin, à titre plus subsidiaire encore, elle demande que soit ordonnée sa comparution personnelle et celle de la dame M. qui a vécu plusieurs années avec le ménage, afin d'établir que la dame M. l'avait mise à plusieurs reprises en garde contre les réactions de son mari pour le cas où elle persévèrerait dans son intention de réclamer le virement à son compte des sommes litigieuses ;

Attendu, au fond, que le fonctionnement du régime de séparation de biens n'exclut pas, au moment où il prend fin, la nécessité d'une liquidation des droits des époux, notamment lorsque leurs intérêts se sont enchevêtrés durant la vie commune ou lorsque l'un a confié à l'autre l'administration de tout ou partie de ses biens personnels ; qu'une telle liquidation suppose que celui des époux qui a détenu des biens appartenant à son conjoint, rende compte de sa gestion ou justifie de leur emploi ;

Attendu que la demande de la dame V. Veuve V. tend à la liquidation de son régime matrimonial et que c'est donc à tort que le Tribunal l'en a déboutée au motif que les paiements effectués par les époux, l'un pour l'autre, étaient à l'origine d'une communauté de fait, sans pour autant d'ailleurs en ordonner le partage, alors que la constatation d'une telle situation justifiait à elle seule, dans son principe, l'action de l'appelante ;

Attendu qu'il échet, en conséquence, de réformer le jugement entrepris et d'ordonner la liquidation du régime matrimonial des époux V.-V.,

Et, avant dire droit sur les modalités de cette liquidation, qu'il paraît utile de procéder à l'interrogatoire des parties, mesure partiellement sollicitée à titre subsidiaire, par l'appelante ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Infirme le jugement entrepris ;

Ordonne la liquidation du régime matrimonial des époux V.-V.,

Et avant dire droit sur les modalités de cette liquidation,

Ordonne l'interrogatoire de toutes les parties conformément aux dispositions des articles 365 et suivants du Code de Procédure Civile ;

Composition🔗

M. de Monseignat prem. pr., Mme Afchain j. sup. dél. au parquet gén., MMe Sanita et Boisson av. déf.

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