Cour d'appel, 19 mars 1973, Dame Veuve B. c/ S.A.M. Établissements C., L. G. et T.

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Abstract🔗

Référés

Contrat de location gérance - Cautionnement - Mise sous séquestre - Dénaturation d'une clause contractuelle - Contestation sérieuse - Incompétence - Séquestre - Désignation - Actes de pure administration (non) - Urgence (non) - Péril en la demeure (non) - Incompétence

Résumé🔗

Si le juge des référés a le pouvoir d'ordonner une mesure de séquestre, ce n'est qu'en cas d'urgence, à titre provisoire et conservatoire et sans qu'il puisse, avant que le litige existant entre les parties soit jugé par la juridiction compétente au fond, charger le séquestre d'accomplir d'autres actes que des actes de pure administration. En l'espèce, le juge des référés devait, sur le moyen tiré du fait que la mise sous séquestre du cautionnement stipulé dans un contrat de location-gérance entraînerait une dénaturation d'une clause contractuelle, moyen constituant une contestation sérieuse touchant au fond du droit, se déclarer incompétent. Au surplus la mission donnée par lui au séquestre outrepassait les actes de pure administration qu'il pouvait seulement prescrire alors que n'étaient justifiés ni urgence ni péril en la demeure (1 et 2).


Motifs🔗

LA COUR

Statuant sur l'appel régulièrement interjeté, en la forme, par la dame Veuve B., d'une ordonnance de référé en date du 7 août 1972, rendue par le Président du Tribunal de Première Instance de Monaco, dans le litige l'opposant à la Société anonyme « Établissements C. », à T. et à L. G. ;

Considérant qu'il résulte des éléments de la cause, d'une part qu'à la suite de la publication officielle de la fin de la location-gérance d'un fonds de commerce de bar-restaurant dénommé « P. B. » et sis . consentie le 12 mars 1970 par la Veuve B., propriétaire de ce fonds, à L. G., la Société Établissements C., fournisseur de combustibles, et T., boucher, en conformité des dispositions de l'article 10 de la loi n° 546 du 26 juin 1951, tendant à réglementer la gérance libre, et pour assurer le recouvrement des sommes de 4 210 F. et 4 415 F. dont ils étaient respectivement créanciers de L. G., ont régulièrement formé des oppositions au remboursement à celui-ci de la somme de 30 000 F. qu'il avait versée à la Veuve B., à titre de cautionnement ;

Que, d'autre part, à défaut par ladite Veuve B. de leur avoir payé le montant de leurs créances, malgré leurs oppositions et des mises en demeure, ils ont demandé au juge des référés du Tribunal de Première Instance de Monaco, de nommer un séquestre de la somme de 30 000 F. mentionnée ci-dessus et de lui donner mission de la distribuer entre eux, à concurrence de celles qui leur étaient dues ;

Considérant que, par l'ordonnance entreprise, le juge des référés,

1° a rejeté une exception d'incompétence soulevée par la Veuve B., laquelle soutenait « que la désignation d'un séquestre pour une somme qu'elle détenait en consignation en vertu d'un contrat et versée par le preneur pour la seule garantie de l'exécution de ses obligations envers elle préjudiciait au fond, en entraînant une dénaturation de la clause contractuelle » ;

2° a désigné un séquestre du montant du cautionnement versé par L. G. ;

3° a dit qu'avec ce montant, le séquestre « réglerait les divers créanciers et en restituerait le solde, s'il en existait un, à L. G., ou en cas d'insuffisance du cautionnement, préparerait et ferait ouvrir une distribution par contribution » :

4° a dit que la Veuve B. supporterait les frais de séquestre et l'a condamnée aux dépens ;

Considérant que, pour statuer ainsi, le premier juge, après avoir constaté que L. G., assigné devant lui, avec la Veuve B., « s'associait » aux demandes des Établissements C., et de T., a essentiellement estimé « que le comportement de la défenderesse refusant systématiquement de tenir compte des oppositions, faisait apparaître justifiées ces demandes et infondée l'exception d'incompétence soulevée par elle » ;

Considérant que sans persister dans cette exception d'incompétence, l'appelante sollicite la réformation de l'ordonnance déférée, en faisant grief à celle-ci d'avoir donné mission au séquestre qu'elle a nommé de régler les divers créanciers de L. G., et de procéder à une distribution par contribution, au cas où le cautionnement qu'elle avait reçu serait insuffisant ;

Qu'en soutenant que, seules les oppositions des Établissements C. et de T. faites dans le délai prévu par l'article 10 de la loi n° 546 du 26 juin 1951, peuvent être prises en considération, et en déclarant qu'elle est personnellement créancière de L. G. de la somme de 34 743 F 22, elle demande qu'il soit jugé que « par application de l'article 759 du Code de procédure civile », elle ne peut être tenue de consigner entre les mains d'un séquestre que celles dues aux Établissements C. et à T., susnommés, soit au total, 8 625 F 04 et que le surplus du cautionnement doit garantir les obligations de L. G. à son égard ;

Considérant que les intimés concluent à la confirmation de la décision entreprise ;

Que, particulièrement les Établissements C. demandent qu'il y soit ajouté que la Veuve B. devra déposer entre les mains du séquestre le montant du cautionnement dans un délai de huit jours, à peine d'une astreinte non comminatoire de 100 F par jour de retard ;

Que, particulièrement, également, T. sollicite la condamnation de l'appelante à lui payer 1 000 F de dommages-intérêts pour résistance abusive ;

Considérant que, selon l'article 419, alinéa 1er du Code de procédure civile, la compétence du juge des référés cesse lorsqu'il y a lieu de trancher une contestation sérieuse de nature à préjudicier au principal ; que, dans ce cas, son incompétence est absolue et d'ordre public et doit être constatée d'office ;

Considérant, en outre, que si le juge des référés a le pouvoir d'ordonner une mesure de séquestre, ce n'est qu'en cas d'urgence, à titre provisoire et conservatoire, et sans qu'il puisse avant que le litige existant entre les parties soit jugé par la juridiction compétente au fond, charger le séquestre d'accomplir d'autres actes que des actes de pure administration ;

Considérant, en l'espèce - bien que la dame B. n'ait pas en cause d'appel persisté dans le moyen d'incompétence tiré par elle du fait que la mise sous séquestre du cautionnement stipulé dans le contrat de location-gérance consenti par elle à L. G. entraînerait une dénaturation de la clause contractuelle par laquelle ce cautionnement avait été prévu -, que le premier juge devait, sur ce moyen qui constituait une contestation sérieuse touchant au fond du droit, se déclarer incompétent ;

Considérant, au surplus, que la mission de régler non seulement les dettes de L. G., à l'égard des Établissements C. et de T., sur les oppositions de ceux-ci, mais encore celles dudit L. G., à l'égard d'autres créanciers non opposants, qu'il a donnée au séquestre désigné par lui, outrepasse les actes de pure administration qu'il pouvait seulement prescrire ;

Considérant, enfin, qu'il n'est nullement justifié qu'un cas d'urgence ou de péril en la demeure nécessitait la désignation d'un séquestre ;

Considérant, dans ces conditions, que la réformation de l'ordonnance attaquée s'impose.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

En la forme, reçoit l'appel de la dame B. ;

Dit que le premier juge était incompétent pour statuer sur les oppositions des Établissements C. et de T., et pour donner à un séquestre la mission qu'il a prescrite dans son ordonnance ;

Constate, au surplus, que la désignation d'un séquestre n'était pas justifiée par un cas d'urgence ou de péril en la demeure ;

En conséquence, infirme l'ordonnance entreprise ;

Composition🔗

MM. Cannat prem. pr., François prem. subst. gén., MMe Sanita, Clérissi et Jean-Eugène Lorenzi av. déf., MMe Léandri, Prat (tous deux du barreau de Nice) et Me Patrice Lorenzi av.

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