Cour d'appel, 14 février 1972, T. c/ P.

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Abstract🔗

Saisie immobilière

Sommation de payer ou de délaisser - Vente - Délai -Tiers détenteur résidant à l'étranger

Hypothèque

Assiette - Terrain hypothéqué intégré dans un ensemble immobilier indivisible - Droit de suite - Conditions

Hypothèque spéciale - Discussion - Cantonnement - Acte authentique - Opposabilité aux tiers détenteurs - Conditions

Résumé🔗

L'article 2007 du Code Civil, selon lequel trente jours après la sommation au tiers détenteur de payer la dette ou de délaisser l'héritage, le créancier hypothécaire a le droit de faire vendre celui-ci, ne prévoit pas l'éventualité de délais de distance s'ajoutant aux trente jours prescrits. À supposer cependant que les dispositions de l'article 158 du Code de procédure civile soient applicables au cas où le tiers détenteur demeure à l'étranger, il y a lieu de tenir compte de ce que, selon l'article 150 § 2 du même Code, l'exploit produit ses effets du jour du dépôt au Parquet Général.

Lorsqu'un ensemble immobilier a été construit sur différents terrains dont certains hypothéqués, que l'immeuble neuf forme un tout insusceptible de division en considération de l'implantation de chaque partie et que le tiers-détenteur a eu connaissance de la situation hypothécaire afférente à l'immeuble, le créancier hypothécaire a le droit de suivre sur l'immeuble neuf en toutes ses parties.

L'exception de discussion n'est pas opposable au créancier ayant hypothèque spéciale sur l'immeuble.

Les créanciers hypothécaires sont libres de renoncer à l'indivisibilité de l'hypothèque et de répartir ainsi la garantie hypothécaire sur chacune des portions de l'immeuble. Une telle convention peut intervenir dans un acte authentique postérieur à l'acte constitutif et il est opposable aux tiers détenteurs, dès lors que cet acte déclare spécialement la nature et la situation de chacun des immeubles appartenant au débiteur et sur lequel est consentie l'hypothèque de la créance.


Motifs🔗

La Cour,

Statuant sur l'appel, régulièrement interjeté, en la forme, par T., d'un jugement rendu le vingt-cinq février mil neuf cent soixante et onze, par le Tribunal de Première Instance de Monaco, lequel a déclaré mal fondé le sus nommé en son action en nullité de saisie immobilière, discussion et distraction de saisie, et, en conséquence, a dit qu'il sera procédé, par reprise de la procédure de saisie immobilière sur laquelle il avait été sursis, à l'adjudication de l'appartement n° 1 au rez-de-chaussée de l'immeuble, enfin a rejeté la demande de dommages-intérêts de P. ;

Considérant que l'appelant fait grief à la décision frappée d'appel, d'avoir rejeté ses divers moyens fondés : 1° / sur la nullité de la sommation qui lui a été faite en application de l'article 2007 du Code Civil ; 2° / sur la contestation du droit de suite de son adversaire, eu égard à l'appartement dont s'agit ; 3° / sur l'exception de discussion ; 4° / sur l'inopposabilité à son égard d'un acte de cantonnement intervenu entre les seuls créanciers hypothécaires ; 5° / sur le défaut d'intérêt de son adversaire en considération des ventes intervenues judiciairement et du dépôt de partie du prix de vente chez le notaire ;

Qu'en conséquence, il demande de juger que P. ne pourra pas poursuivre la procédure de saisie-arrêt immobilière engagée sur l'appartement litigieux et subsidiairement, il sollicite la nomination d'un expert chargé de rechercher à la fois le montant du prix de vente sur adjudication des appartements affectés au gage de la créance de P. et le montant des règlements intervenus au profit de ce dernier ;

Qu'enfin T. par conclusions ultérieures demande qu'il lui soit donné acte - toutefois sous les plus expresses réserves des exceptions et moyens de défense présentés par lui au cours des débats - qu'il offre de donner délégation à P. sur le montant du solde du prix de l'appartement par lui acquis, et de compléter de ses deniers personnels cette somme, jusqu'au règlement complet de la somme de quarante-sept mille cent quinze francs, objet de la sommation ;

Que l'intimé sollicite la confirmation du jugement déféré, puis, par conclusions ultérieures, demande de dire, d'une part régulière la saisie diligentée, d'autre part, qu'en offrant le règlement des sommes dues, T. a lui-même reconnu la régularité de cette procédure ;

Sur la demande de donner acte de T. et les conséquences qu'en déduit P. :

Considérant que l'appelant n'a demandé qu'il lui soit donné acte de son offre que sous réserve des exceptions et moyens de défenses, précédemment invoqués ; que l'intimé ne saurait dès lors être admis à arguer d'une prétendue reconnaissance par son adversaire de la régularité de la procédure contestée ;

Sur l'exception de nullité :

Considérant que le sept octobre mil neuf cent soixante-dix, et selon les dispositions de l'article 2007 du Code Civil, P. a fait sommation à T. de lui payer la somme de quarante-six mille deux cent soixante-quinze francs, ou de délaisser les portions d'immeuble qu'il a acquises dans l'ensemble immobilier « Les Abeilles » ;

Qu'eu égard à la domiciliation de T. en Italie et en application des dispositions de l'article 150 du Code de procédure civile, l'huissier a remis ladite sommation au Parquet du Procureur Général ; que cependant T. n'a eu connaissance de cette sommation que le dix-neuf novembre mil neuf cent soixante-dix, c'est-à-dire postérieurement à la saisie immobilière pratiquée par P. sur l'appartement litigieux le dix novembre mil neuf cent soixante-dix, soit plus de trente jours après la sommation, comme il est prescrit par l'article 2007 susvisé ;

Considérant que l'appelant fait valoir que la domiciliation de T. à l'étranger imposait le respect des délais supplémentaires de distance ;

Que cependant, l'article 2007 du Code Civil ne prévoit pas l'éventualité de tels délais s'ajoutant aux trente jours prescrits, qu'en supposant même qu'il soit fait application en la matière du délai prévu par l'article 158, 2° du Code de procédure civile pour les assignations quand l'assigné demeure en Italie, il convient de noter que le délai prévu par ce texte est précisément de trente jours, donc n'excède pas celui de l'article 2007 ;

Que par ailleurs, selon l'article 150 § 2 du Code de procédure civile, l'exploit produit ses effets du jour du dépôt ;

Qu'il échet, en conséquence, de passer outre ;

Considérant enfin que dans ses écritures d'appel, T. ne reprend pas l'autre moyen de nullité dont il excipait en première instance, relativement à la nullité de la sommation faite le deux décembre mil neuf cent soixante-dix par P. aux créanciers inscrits d'avoir à prendre connaissance du cahier des charges ;

Sur l'exception de distraction et en conséquence la contestation du droit de suite de P. eu égard à l'appartement litigieux :

Considérant que P. est porteur de trois grosses hypothécaires résultant du fractionnement de l'obligation souscrite le huit février mil neuf cent cinquante-six par G. envers C. A. et affectant à la garantie de la créance, une villa sise à Monte-Carlo et un jardin situé entre cette villa et le chemin ;

Que postérieurement à l'établissement des grosses au porteur, la villa a été démolie et que sur le terrain - auquel a été réuni par acquisition celui de deux autres villas voisines - a été construit un ensemble immobilier de dimensions considérables divisé en appartements ;

Qu'enfin le quinze mai mil neuf cent soixante-quatre, T. a acheté en l'étude de Maître Rey, notaire, l'appartement n° 1 du rez-de-chaussée dudit ensemble, alors que le titre du créancier était inscrit depuis huit ans ;

Considérant que l'appelant soutient que l'assiette de l'hypothèque dont se prévaut l'intimé était la Villa, dans sa disposition primitive et ne saurait être étendue à l'ensemble immobilier, lequel a été construit non seulement sur le sol hypothéqué, mais sur celui des deux villas voisines ;

Considérant que selon les dispositions de l'article 1971 du Code Civil, l'hypothèque acquise s'étend à toutes les améliorations survenues à l'immeuble hypothéqué ;

Que des constructions nouvelles, élevées sur le sol parties de l'assiette, en ce qu'elles constituent une indéniable amélioration de l'immeuble, supportent dès lors l'hypothèque ;

Que sauf indication contraire dans l'acte constitutif, le propriétaire du sol est présumé avoir entendu affecter les constructions nouvelles à la garantie des créanciers ayant hypothéqué sur ce sol ;

Qu'en l'absence de restrictions de cette nature dans l'acte intervenu le huit février mil neuf cent cinquante-six, l'immeuble nouveau ferait indiscutablement partie de l'assiette, s'il était intégralement construit sur le sol de la villa primitive et de son jardin ;

Considérant qu'il y a lieu d'apprécier s'il en est de même alors que l'immeuble neuf a été édifié sur le terrain hypothéqué et sur celui des deux villas voisines non grevé par l'acte sus mentionné ;

Qu'il ne résulte certes pas des dispositions de l'article 1971 du Code Civil, que l'hypothèque doive être supportée ipso facto par tout autre immeuble qui ne lui aurait pas été spécialement affecté, mais qui viendrait à être confondu avec le premier, par suite de la réunion des deux immeubles dans les mains du même propriétaire ;

Mais qu'en l'espèce, à la confusion juridique née des actes successifs d'acquisition par G., s'est ajoutée une confusion matérielle, de telle sorte que l'immeuble neuf forme un tout, assis sur l'ensemble des terrains, insusceptible de division en considération de l'implantation de chaque partie, et qu'on ne saurait rechercher si tel appartement ou partie d'appartement a été ou n'a pas été construit à la verticale de tel ou tel desdits terrains ;

Considérant en outre, que T. a déclaré dans l'acte d'achat avoir connaissance de la situation hypothécaire afférente à l'immeuble, en sorte qu'il a contracté avec G. sans ignorer que l'appartement par lui acquis, était inclus dans l'assiette de l'hypothèque ;

Qu'il y a lieu, en conséquence, de rejeter sur ce point les prétentions de l'appelant et de reconnaître à P. le droit de suivre sur l'immeuble neuf en toutes ses parties ;

Sur l'exception de discussion :

Considérant que T., tiers détenteur qui n'est pas personnellement obligé à la dette de G. envers P., oppose à la mise en vente de son appartement l'exception de discussion prévue à l'article 2009 du Code Civil, en raison de l'existence dont il argue, d'autres appartements hypothéqués à la même dette et demeurés en la possession de G. ;

Mais qu'à juste titre, les premiers juges ont opposé à la prétention de l'appelant, les dispositions de l'article 2010 du même Code, refusant que soit opposée cette exception au créancier ayant hypothèque spéciale sur l'immeuble ;

Qu'en effet, la sûreté dont se prévaut l'intimé est une hypothèque conventionnelle dont la spécialité est stipulée à l'article 1967 du Code Civil ;

Sur l'inopposabilité à T. du cantonnement intervenu :

Considérant que le vingt septembre mil neuf cent soixante-huit, a été dressé chez Maître Rey, notaire, un acte dit « de mainlevée partielle réduisant la créance et cantonnement hypothécaire par les créanciers de M. et Mme G. des diverses créances grevant l'ensemble immobilier Les Abeilles » ;

Qu'en effet ainsi qu'il est porté aux pages 12 et 13 dudit acte, dans le but d'assurer une meilleure répartition du gage de leurs créances respectives et pour faciliter les opérations de radiation des inscriptions à l'occasion de la vente de l'entier immeuble Les Abeilles, par locaux et appartements séparés, les porteurs de grosse désignés à l'acte sont convenus de répartir la garantie de leur créance sur les divers locaux et appartements dudit immeuble en respectant entre eux les rangs hypothécaires qu'ils se sont eux-mêmes assignés... et consentant au surplus le dégrèvement total et définitif de toutes les portions d'immeuble qui ne se trouveront pas comprises dans le présent cantonnement ;

Qu'en vertu de cet acte, l'appartement acquis par T. est devenu l'assiette de l'hypothèque concédée sur ces lieux à P. par accord des autres créanciers ;

Que ni le débiteur G., ni les tiers détenteurs n'ont été appelés à donner leur accord à cet acte ;

Considérant qu'en cas d'affectation de plusieurs immeubles ou portions d'immeuble à la garantie d'une créance, chacun des immeubles et chacune des portions d'immeuble - en raison de la nature indivisible de l'hypothèque stipulée à l'article 1952 § 2 du Code Civil - répond de la dette pour le tout ; que dès lors, chaque fraction de l'immeuble répondant de toute la dette hypothécaire et chaque fraction de la créance reposant sur l'immeuble tout entier, l'un des créanciers hypothécaires peut, à son choix, poursuivre chacun des immeubles ou chacune des portions pour la totalité de sa créance ;

Considérant toutefois que les parties sont libres de renoncer à l'indivisibilité de l'hypothèque et de répartir ainsi la garantie hypothécaire sur chacun des immeubles et sur chacune des portions d'immeuble ;

Que les tiers détenteurs, lesquels étaient évidemment étrangers à l'acte constitutif, ne sauraient être considérés comme des parties et n'avaient donc pas à être consultés ;

Qu'une telle convention de renonciation et de répartition de la garantie hypothécaire peut intervenir, non seulement dans le titre constitutif, mais également dans un acte authentique postérieur, l'article 1967 du Code Civil déclarant valable l'hypothèque conventionnelle à la condition que cet acte authentique postérieur déclare spécialement la nature et la situation de chacun des immeubles appartenant au débiteur et sur lequel est consentie l'hypothèque de la créance ;

Qu'il en est ainsi en l'espèce et qu'en conséquence, est parfaitement opposable à l'appelant l'acte dit « de cantonnement » régulièrement intervenu le vingt septembre mil neuf cent soixante-huit ;

Sur le défaut d'intérêt de P. :

Considérant que T. fait état, d'une part, de l'appréhension antérieure par le saisissant d'une somme supérieure à la créance garantie lors des autres actes intervenus ; d'autre part, de l'existence chez Rey, notaire du dépôt de partie de son prix d'acquisition à concurrence de quarante mille francs ;

Considérant que T. prétend en effet, que sur le prix d'adjudication des autres appartements saisis par P. en même temps que le sien, son adversaire a perçu diverses sommes dont le total excèderait le montant de ce qu'il lui réclame en remboursement des trois grosses fractionnelles dont P. est porteur et des intérêts accumulés (soit en tout quarante-six mille deux cent soixante-quinze francs) en sorte que l'intimé se trouverait déjà intégralement désintéressé ;

Que P. soutient, au contraire, que les trois grosses cantonnées sur l'appartement litigieux n'ont pas à être admises à participer au règlement intervenu lors de la vente des trois autres appartements ;

Que les parties étant contraires en fait, il échet de faire droit, sur ce point, aux conclusions subsidiaires de l'appelant, lequel sollicite la nomination d'un expert chargé de rechercher :

1° le montant du prix de vente sur adjudication des appartements affectés au gage de la créance de P. ;

2° les règlements intervenus au profit de ce dernier ;

Considérant que les parties sont également en désaccord sur l'existence et l'objet d'un dépôt chez notaire, en sorte qu'il y a lieu d'étendre la mission de l'expert à des investigations destinées à vérifier leurs allégations ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS :

En la forme, reçoit T. en son appel ;

Au fond, rejette ses exceptions de nullité de la sommation du sept octobre mil neuf cent soixante-dix, de distraction et de discussion, et le moyen tiré de l'inopposabilité de l'acte dit « de cantonnement » du vingt septembre mil neuf cent soixante-huit ;

Quant au défaut d'intérêt de P.,

Avant dire droit au fond, tous moyens demeurant réservés, ainsi que les dépens, aux frais avancés de T., nomme en qualité d'expert, pouvant en cas d'empêchement être remplacé par simple ordonnance sur requête ou même d'office, Monsieur Jean Curau, secrétaire en Chef du Parquet Général, lequel - serment préalablement prêté, sauf dispense régulière des parties et en disposant des pouvoirs d'investigation définis par l'article 355 du Code de procédure civile - aura pour mission de rechercher :

1° le montant du prix de vente sur adjudication des appartements de l'immeuble Les Abeilles, affectés par l'acte dit « de cantonnement » du vingt septembre mil neuf cent soixante-huit, au gage de la créance de P. ;

2° les règlements intervenus au profit de ce dernier ;

3° le montant de la créance en principal, intérêts et accessoires de P. ;

4° le montant de la somme éventuellement déposée par T. en l'étude de Maître Rey, l'objet de ce dépôt, la raison pour laquelle il n'en a pas été fait usage par le notaire ;

Dit que l'expert répondra, dans le cadre de sa mission à tous dires écrits des parties, les conciliera, si faire se peut, sinon, se faisant assister, le cas échéant, de tous sachants, déposera rapport de ses opérations dans les trois mois de son serment ou de sa saisine, pour être ultérieurement conclu et statué comme il appartiendra ;

Composition🔗

MM. Cannat, prem. prés., François, subst. proc. gén. ; MMe Boisson et Marquilly, av. déf.

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