Cour d'appel, 21 juin 1971, SAM SOFINEX et H. c/ SAM Sécuritas

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Abstract🔗

Jugements

« Ultra petita » - Objet du litige -Teneur des conclusions.

Lettres de change

Paiement - Bénéficiaire de l'acceptation - Tiers porteur - Inopposabilité des exceptions.

Société

Administrateur - Confusion des patrimoines - Responsabilité in solidum.

Résumé🔗

Le juge ne statue pas « ultra petita » s'il alloue à une partie un objet virtuellement compris dans les conclusions de celle-ci.

Le bénéficiaire de l'acceptation d'une lettre de change est présumé être intervenu dans les rapports cambiaires comme preneur - ou premier porteur - et ne peut se voir opposer l'exception de la nullité du rapport fondamental unissant le tireur au tiré, hors le cas où il n'a pas été un porteur légitime ou ait agi au détriment du débiteur.

L'administrateur d'une société qui réalise des opérations commerciales tantôt en son nom personnel, tantôt sous le couvert de la société dont il a la maîtrise, résume cette société sous sa seule personne et doit être retenu comme responsable « in solidum » des condamnations prononcées contre elle.


Motifs🔗

La Cour,

Statuant sur l'appel régulièrement interjeté en la forme par la Société anonyme Monégasque Sofinex, et par J. H., d'un jugement rendu le vingt-cinq juin mil neuf cent soixante-dix, par le Tribunal de Première Instance de Monaco, lequel a dit n'y avoir lieu de déclarer la faillite commune de la Société Sofinex et de son administrateur délégué J. H., a condamné ladite société et ledit H., « in solidum » à payer à la Société Sécuritas, la somme de cent mille francs, outre les intérêts de droit, et celle de mille francs à titre de dommages-intérêts ;

Considérant que les appelants font grief à la décision entreprise d'avoir statué « ultra petita » en les condamnant à payer la somme de cent mille francs à la Société Sécuritas, alors que l'assignation originaire délivrée à la Société Sofinex et à H. tendait seulement à voir ceux-ci déclarés en faillite ; que si, dans d'ultimes conclusions devant le Tribunal, la Société Sécuritas demandait, en outre, à titre très subsidiaire, le paiement d'une créance, elle ne fixait le montant de celle-ci qu'à la somme de vingt mille francs ;

Qu'ils reprochent encore au jugement entrepris d'avoir fait bénéficier la Société Sécuritas des avantages accordés par la loi à un tiers porteur, alors qu'elle n'avait pas cette qualité ;

Qu'ils objectent enfin, que même si la condamnation de la Société Sofinex était fondée, cette condamnation ne pouvait être prononcée in solidum, contre H., en raison de la séparation de patrimoine existant entre eux et alors qu'il n'est pas établi que H. ait, sous le couvert de la Société, fait dans son seul intérêt des actes de commerce et disposé pour son seul usage des biens sociaux ;

Qu'ils demandent, au principal, leur mise hors de cause et subsidiairement, au cas où la condamnation de la Société Sofinex serait confirmée, d'écarter la responsabilité « in solidum » de H. ;

Considérant que la Société Sécuritas soulève l'irrecevabilité de la fin de non recevoir opposée par les appelants et conclut à la confirmation du jugement déféré ;

Sur la fin de non recevoir tirée de ce que les premiers juges auraient accordé plus qu'il n'était demandé :

Considérant, sur ce point, que le juge ne statue pas « ultra petita » s'il alloue à une partie un objet virtuellement compris dans les conclusions de cette dernière ;

Considérant qu'en l'espèce, la Société Sécuritas a assigné le neuf juillet mil neuf cent soixante-neuf, en déclaration de faillite commune la Société Sofinex et son Président délégué H., en fondant son action sur une créance de cent mille francs que les défendeurs s'étaient engagés à lui payer et représentée par cinq traites de vingt mille francs, chacune, aux échéances des vingt-cinq novembre, trente novembre, cinq, dix et quinze décembre mil neuf cent soixante-huit ;

Considérant que le vingt-et-un avril mil neuf cent soixante-dix, la Société Sécuritas demandait dans ses écritures, au principal que lui soit adjugé le bénéfice de son exploit introductif d'instance, et subsidiairement, la condamnation des défendeurs à lui payer, à titre principal, la somme de vingt mille francs, outre les intérêts ; que toutefois, elle écrivait, dans les motifs de ses conclusions : « Puisque les défendeurs s'étonnent de l'absence d'une demande de paiement, la concluante ne voit aucun inconvénient à formuler, à titre très subsidiaire, une demande de condamnation conjointe et solidaire des défendeurs à la somme de vingt mille francs, outre les intérêts des traites litigieuses » ;

Considérant que les traites litigieuses ainsi mentionnées au pluriel, s'identifient bien aux cinq traites visées dans l'assignation introductive d'instance et dont il n'est pas dénié par les appelants que leur défaut de paiement est la cause du procès ; qu'en réclamant aux motifs de ses conclusions, qui font corps avec le dispositif, le paiement des traites litigieuses, la Société Sécuritas demandait implicitement le paiement non point d'une somme de vingt mille francs qui n'aurait représenté qu'un seul effet, mais bien celle de cent mille francs, valeur des cinq effets échus et non payés ; que les appelants n'ont d'ailleurs soulevé aucune contestation sur le quantum de la demande en première instance ; que, par conséquent, les premiers juges n'ont pas accordé au delà de ce qui leur était demandé et qu'ainsi la fin de non recevoir opposée par les appelants doit être rejetée ;

Sur l'opposition au porteur des exceptions que le tiré peut invoquer à l'encontre du tireur :

Considérant que les appelants prétendent que la Société Sécuritas ne peut d'aucune manière être considérée comme un tiers porteur des effets litigieux ; qu'ils soutiennent, à cet égard, que seul peut se prévaloir de cette qualité, celui qui est devenu propriétaire d'un effet par exemple en l'escomptant ; qu'en l'espèce, la Société Sécuritas n'était jamais devenue propriétaire des traites, puisque celles-ci ne lui avaient été remises par T. qu'à titre de garantie complémentaire des crédits qui lui avaient été consentis par cet établissement financier ; qu'ainsi pouvaient être opposées à ce simple porteur, les mêmes exceptions qu'envers le tireur originaire, spécialement celle puisée dans le défaut de cause, puisque les marchandises promises par T. n'avaient jamais été livrées ;

Considérant que les cinq lettres de change créées par T. et dont l'acceptation par H. es-qualités suppose la provision, l'ont été au bénéfice de la Société Sécuritas, laquelle est donc présumée être intervenue dans les rapports cambiaires comme preneur - ou premier porteur - et non comme endossataire ; qu'en cette qualité, elle ne peut se voir opposer par les appelants l'exception tirée de la nullité du rapport fondamental qui unissait le tireur au tiré, à moins qu'elle n'ait pas été un porteur légitime ou qu'elle n'ait agi au détriment du débiteur, ce qui n'est nullement établi ; qu'ainsi cette prétention de la Société Sofinex et de H. doit être rejetée ;

Sur le fond :

Considérant que la Société Sofinex ne conteste pas qu'elle ait accepté par son mandataire les effets litigieux ; qu'ainsi elle doit être condamnée à leur paiement au profit de la Société Sécuritas ;

Considérant que H. soutient cette fois, à titre personnel, que la Société Sofinex, Société anonyme Monégasque régulièrement constituée, possède une existence juridique distincte de la sienne, un patrimoine et une activité propres et qu'il ne saurait d'aucune manière être tenu pour responsable de son passif ;

Considérant à cet égard, qu'il résulte des documents versés aux débats par l'intimée et régulièrement soumis à la discussion des parties, que H. était en relation de commerce avec T., tantôt à titre personnel tantôt esqualités d'administrateur de Sofinex ; qu'ainsi il avait été amené à payer, le vingt-trois avril mil neuf cent soixante-neuf, pour son compte, une lettre de change tirée par T. pour une opération identique à celles qu'il faisait traiter par la Société, avec le même T. ; que la Société Sofinex, malgré ses affirmations n'est titulaire d'aucun compte dans les banques ou dans les établissements financiers monégasques, et que, par suite, les affaires importantes qu'elle traite ne peuvent passer que par le compte personnel de H., son Président délégué ; qu'effectivement, ce dernier possède un compte courant à la Barclays Bank, agence de Monaco ;

Considérant encore que H. et la Société Sofinex, sans s'arrêter à l'opposition d'intérêts apparaissant dans le subsidiaire de leurs conclusions communes en cause d'appel du quatre décembre mil neuf cent soixante-dix, continuent à lier leur sort dans les mêmes écritures ;

Considérant qu'il est donc établi que H. a accompli des actes de commerce sous le couvert de la Société Sofinex, dont il avait la maîtrise, et qu'il a bien résumé la Société sous sa seule personne ; qu'il y a donc lieu de le retenir comme responsable « in solidum » de la condamnation prononcée contre la Société Sofinex ;

Considérant que, tant par leur résistance abusive que par leurs imputations diffamatoires à l'endroit de l'intimée, les appelants ont causé à celle-ci un préjudice dont les premiers juges ont exactement fixé la réparation ;

Considérant qu'il n'est par ailleurs apporté aucun élément de preuve satisfaisant en ce qui concerne tous autres moyens ou arguments présentés par les parties ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS et ceux non contraires des premiers juges ;

En la forme,

Reçoit la Société Sofinex en Jean H. en leur appel ;

Au fond,

Dit cet appel mal fondé ;

Confirme le jugement entrepris ;

Et rejetant comme inutiles ou mal fondées toutes conclusions plus amples ou contraires des parties ;

Composition🔗

MM. Cannat, prem. prés., François, subst. proc. gén. ; MMe Clérissi et Marquet, av. déf.

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