Cour d'appel, 5 avril 1971, Stés SICOM et SONOUDEX c/ Administrateur des Domaines

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Abstract🔗

Baux commerciaux

Détermination. Parties. Clauses exorbitantes du droit commun.

Contrat administratif

Détermination. Parties. Clauses exorbitantes du droit commun.

Résumé🔗

Constitue un contrat administratif et non un bail commercial, l'acte dans lequel intervient une personne publique, qui se rattache à une activité de service public et comporte une clause révélant le choix du procédé de droit public.


Motifs🔗

La Cour,

Statuant sur l'appel régulièrement interjeté en la forme, par les Sociétés SICOM et SONOUDEX d'un jugement rendu le huit mai mil neuf cent soixante-dix, par le Tribunal de Première Instance de Monaco, lequel déclarant infondée l'exception d'incompétence soulevée à son encontre par les susdites sociétés, a dit que l'acte administratif du vingt-trois juin mil neuf cent cinquante, portant location d'un terrain par l'Administration des Domaines aux appelantes, ne constituait pas un bail commercial soumis aux procédures prévues par la loi n° 490 du 24 novembre 1948 puis, retenant sa compétence comme juridiction administrative, a désigné en qualité d'expert, le sieur P., chargé d'apprécier la valeur locative dudit terrain ;

Considérant que les sociétés appelantes contestant la qualification donnée au bail, font grief aux premiers juges de s'être déclarés compétents ;

Que G., es-qualités d'administrateur des Domaines de S.A.S. le Prince de Monaco, sollicite la confirmation du jugement frappé d'appel ;

Considérant que le vingt-trois juin mil neuf cent cinquante, entre l'Administration des Domaines et les représentants des sociétés appelantes, a été conclu un bail portant sur un terrain nu sis au quartier de Fontvieille à Monaco, pour une durée de dix-huit années, se terminant le trente et un mai mil neuf cent soixante-huit, ce moyennant un loyer annuel de cent mille francs, terrain sur lequel les preneurs ont édifié un immeuble industriel ;

Que ladite location étant venue à expiration, l'intimé s'est déclaré prêt à renouveler le bail pour une période de trois, six, neuf ans, aux charges et conditions de l'acte litigieux, sous réserve de l'élévation du loyer et a sollicité du Tribunal de Première Instance, la désignation d'un expert chargé de fixer la valeur locative du terrain loué ;

Que les appelantes ont soulevé l'incompétence de cette juridiction eu égard aux stipulations impératives de la loi n° 490 du 24 novembre 1948, donnant compétence pour les locaux commerciaux à la Commission arbitrale prévue par ce texte ;

Qu'elles fondent leur prétention tant sur les dispositions de l'article 34 de la loi sus mentionnée que sur celles de l'article 25 de la même loi ;

Que selon l'article 34 de la loi sur les loyers commerciaux, cette loi ne cesse d'être applicable aux locations portant sur des établissements appartenant à l'Etat que si le refus de renouvellement correspond à un intérêt public, en sorte que le litige ne portant que sur le prix du nouveau bail, les appelants prétendent que la location du terrain dont les Domaines sont propriétaires ne saurait relever que de la loi n° 490 sur les loyers commerciaux ;

Que selon l'article 25 du même texte, la loi n° 490 s'applique aux terrains nus sur lesquels avec le consentement du propriétaire - ce qui est le cas en l'espèce - le preneur, en cours de location, a édifié des constructions à usage commercial ou industriel nécessaires à l'exploitation de son fonds de commerce ou d'industrie, en foi de quoi les appelantes soutiennent que l'hypothèse visée correspond exactement aux faits de la cause ;

Qu'elles en concluent dès lors, que tout aussi bien eu égard à la qualité de leur co-contractante qu'en ce qui a trait à l'usage qu'elles ont fait des lieux loués, le différend ne relève que de la législation sur les loyers commerciaux ;

Considérant toutefois que les dispositions des articles 34 et 25 sont intégrées dans une législation d'exception qui n'est applicable qu'aux baux à loyers définis au premier alinéa de l'article 1er, c'est-à-dire à ceux concernant des locaux et immeubles où s'exploite - dans les conditions stipulées au texte - un fonds de commerce ou d'industrie ;

Qu'il échet, en conséquence, pour que soient éventuellement applicables à l'espèce les dispositions des articles 34 et 25, de vérifier d'abord la nature juridique du bail litigieux ;

Considérant à cet égard que sur le terrain nu loué des Domaines, les sociétés appelantes n'ont pas directement exploité un fonds de commerce ou d'industrie, mais ont construit un immeuble industriel comportant de nombreux étages dont elles n'occupent présentement aucun des locaux ;

Qu'il n'est toutefois pas exclu - bien qu'il ne soit apporté par les parties aucun élément de preuve à ce sujet, tant dans un sens que dans l'autre - que les sociétés appelantes aient provisoirement exploité leur industrie dans certains des locaux édifiés, avant de les céder à des tiers, en sorte qu'il convient d'examiner les deux hypothèses ;

Considérant que si ces sociétés n'ont jamais poursuivi leur propre activité commerciale ou industrielle dans l'immeuble construit, l'utilisation réelle des lieux ne répondant pas à l'exigence de l'exploitation par le preneur d'un fonds de commerce dans les lieux loués, l'acte de location n'a pas constitué un bail commercial ;

Considérant que si, tout au contraire, les sociétés appelantes ont eu dans les lieux édifiés une activité commerciale justifiant les constructions nécessaires - selon l'article 25 - à l'exploitation du fonds, le bail intervenu a pu présenter un caractère commercial s'il n'est pas établi par ailleurs qu'il avait une nature juridique différente ;

Considérant quant à cette nature juridique, que la location a été consentie par l'Administrateur des Domaines es-qualités, agissant avec toutes les autorisations législatives et règlementaires visées au contrat ;

Que les clauses suivantes ont été stipulées :

de convention expresse entre les parties, le loyer ci-dessus (100 000 F par an) sera révisable par période triennale, soit à l'amiable, soit par voie d'expertise ;

1° Les preneurs ne pourront céder leur droit au présent bail, ni sous-louer sans le consentement exprès et par écrit de l'Administration des Domaines, exception faite toutefois si l'un des co-bénéficiaires des présentes désirait céder ses droits à l'autre co-bénéficiaire ; cette cession devrait cependant être signifiée à l'Administration des Domaines ;

2° A la cessation des effets du présent bail, les constructions édifiées par les preneurs, sur la parcelle de terrain présentement louée, sans aucune exception ni réserve devront être laissées au Domaine, sur sa demande d'après l'estimation qui en sera faite soit d'un commun accord, soit à dire d'expert, déduction faite de la vétusté ;

3° Si pour des raisons d'utilité publique le Domaine devrait reprendre la disposition de la parcelle de terrain présentement louée, avant l'expiration du présent bail, celui-ci serait résilié de plein droit, sans aucune formalité ;

4° Toutes contributions, taxes, charges de police, etc., établies ou à établir seront à la charge exclusive des preneurs ;

5° Les constructions une fois achevées devront être assurées par les preneurs contre les risques incendie et autres, à une Compagnie notoirement connue et solvable, qui devront en acquitter les primes aux échéances et justifier du paiement de ces dernières à première réquisition ;

Considérant que l'une des parties au contrat était donc personne publique ;

Que le contrat se rattachait à une activité de service public, c'est-à-dire avait en vue la satisfaction d'un intérêt général qui apparaît aux clauses 2 et 3, l'Etat ayant vocation pour promouvoir l'édification de locaux commerciaux dans le quartier de Fontvieille, secteur affecté à des activités industrielles ;

Que cependant les deux conditions sus relevées si elles sont nécessaires, ne sont pas suffisantes pour imprimer à un contrat un caractère administratif ; qu'il faut encore que les parties aient fait choix du procédé du droit public de préférence au procédé du droit privé ;

Que le critère d'un tel choix réside essentiellement dans l'insertion dans le contrat de clauses exorbitantes du droit commun ;

Qu'en effet, de telles clauses sont révélatrices du procédé du droit public en ce qu'elles n'auraient pas pu être insérées dans un contrat entre particuliers et de ce fait emportent l'octroi au profit de l'une des parties de prérogatives de puissance publique ;

Considérant à cet égard (sans qu'il y ait lieu dès lors d'examiner les autres stipulations) que la clause 1 qui - sauf un cas exceptionnel - interdit au preneur de céder le bail et de sous-louer sans le consentement du propriétaire, contredit les dispositions de l'alinéa 1er de l'article 32 bis de la loi n° 490 dont la rédaction était à l'époque du bail celle résultant de la modification introduite par la loi n° 494 du 3 janvier 1949 dans le texte du 24 novembre 1948 « Seront nulles et de nul effet toutes clauses interdisant la cession du bail » ;

Qu'ainsi, tant par l'intervention à l'acte d'une personne publique, que par le rattachement de cet acte à une activité de service public et par la stipulation d'une clause révélant le choix du procédé de droit public, la convention litigieuse constitue un contrat administratif et non pas un bail commercial ;

Qu'il importe peu en conséquence, de vérifier si les preneurs ont eu ou non une activité commerciale dans les lieux édifiés sur le terrain nu, puisque dans un cas comme dans l'autre, le bail intervenu entre eux et les Domaines ne pouvait présenter les caractères juridiques propres à un bail commercial ;

Considérant qu'il échet dès lors, de reconnaître compétence au Tribunal de Première Instance, investi de la plénitude de juridiction par l'article 21 du Code de Procédure Civile, pour désigner un expert et de confirmer la décision entreprise ;

Qu'il n'est apporté, par ailleurs aucun élément de preuve satisfaisant en ce qui concerne tous autres moyens ou arguments présentés par les parties ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS et ceux non contraires des premiers juges ;

En la forme, reçoit les Sociétés Sicom et Sonoudex en leur appel ;

Au fond, dit cet appel infondé et confirme le jugement déféré ;

Composition🔗

MMe Clérissi et Marquet, av. déf.

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