Commission arbitrale des loyers commerciaux, 13 décembre 2017, La SAM A c/ La SAM B
Abstract🔗
Baux commerciaux - Révision du loyer - Article 21 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948 - Recevabilité de la demande (non)
Résumé🔗
La demande de révision du loyer est irrecevable faute de respecter les prescriptions de l'article 21 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948. En effet, le courrier du bailleur ne mentionne aucune évolution des conditions économiques de la Principauté ou des conditions particulières affectant le fonds. De plus, la terminologie utilisée ne permet pas de déterminer si le bailleur entend proposer un renouvellement à un prix majoré ou s'il entend modifier le prix du loyer en cours de bail.
Motifs🔗
COMMISSION ARBITRALE
LOYERS COMMERCIAUX
Dossier n° C2015/000006
JUGEMENT DU 13 DÉCEMBRE 2017
En la cause de :
La société anonyme monégasque dénommée A, au capital de 160.000 euros, immatriculée au R. S. S. C. de Monaco sous le numéro X, dont le siège social est sis à Monaco,X1, prise en la personne de son Administrateur délégué en exercice, M. j-b. PA., domicilié en cette qualité audit siège ;
DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
Propriétaire
Contre :
la société anonyme monégasque dénommée B, inscrite au RCI de Monaco, sous le numéro X, dont le siège social est sis à Monaco, X2, prise en la personne de son administrateur délégué en exercice, domicilié en cette qualité audit siège;
DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle Olivier MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
Locataire
LA COMMISSION ARBITRALE DES LOYERS COMMERCIAUX,
Vu le billet d'avis de Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur au nom de la SAM A, en date du 16 février 2015 ;
Vu les lettres de convocation pour l'audience de conciliation du 15 avril 2015 adressées en recommandé avec accusé de réception par le greffe le 2 mars 2015 ;
Vu le procès-verbal de non-conciliation en date du 15 avril 2015 renvoyant le preneur à assigner le bailleur devant la Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux ;
Vu les lettres de convocation adressées en recommandé avec accusé de réception par le Greffe le 15 avril 2015 ;
Vu les conclusions de Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur, au nom de la SAM A, en date des 24 juin 2015, 20 janvier 2016, 18 mai 2016, 23 mai 2016 et 15 février 2017 ;
Vu les conclusions de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, au nom de SAM B, en date des 21 octobre 2015, 27 avril 2016, 12 octobre 2016, 13 décembre 2016 et 19 mai 2017 ;
Ouï Maître Géraldine GAZO, avocat-défenseur, au nom de la SAM A, en ses plaidoiries et conclusions ;
Ouï Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, au nom de SAM B, en ses plaidoiries et conclusions ;
CONSIDÉRANT LES FAITS SUIVANTS :
Par acte sous seing privé en date du 4 avril 2003, la SAM A donnait à bail des locaux à usage commercial sis au rez de chaussée de l'immeuble X2, composé des boutiques 4-5-12-13-14-15 et 16 à la SAM C aux droits de laquelle vient la Société B, moyennant un loyer annuel de 152.450 euros.
Par le jeu de l'indexation prévue au bail, ledit loyer se montait en novembre 2014 à la somme de 224.616 euros par an.
Par courrier du 10 novembre 2014, la SAM A a manifesté à son preneur sa volonté d'augmenter le montant des loyers en cours de bail à la somme de 640.000 euros.
Le 11 décembre 2014, le preneur refusait cette augmentation.
La SAM A saisissait la présente Commission par billet du 16 février 2015, sur le fondement de l'article 21 de la loi 490.
Elle fait valoir en premier lieu que sa demande est recevable en ce que le courrier du 10 novembre 2014 est strictement conforme aux dispositions de l'article 21 de la loi 490 et que la procédure suivie respecte le même texte et qu'ensuite, la jurisprudence citée est définitive et parfaitement transposable en la cause.
Elle fait valoir que selon des articles de presse, l'avenue dans laquelle les locaux sont situés est l'une des plus chères au monde et que la comparaison avec les loyers pratiqués alentours démontrent que le loyer n'est plus en adéquation avec la valeur locative des locaux.
Elle estime que les comparaisons opérées par la défenderesse ne sont pas pertinentes et ne reflètent pas la réalité du marché.
En réponse, la SAM B conclue à ce que la demande de révision soit déclarée irrecevable et à titre subsidiaire que la SAM A soit déboutée de sa demande.
Elle fait valoir en premier lieu qu'aux termes de l'article 21 de la loi 490, la demande de révision du prix doit contenir l'énonciation des motifs justifiant la réévaluation du prix, ce qui ne figurerait pas dans le courrier du 10 novembre 2014, de sorte qu'elle ne se trouvait pas en position de contrôler et discuter la demande d'augmentation.
Elle estime que la seule évocation des conditions économiques générales de la principauté et celles relatives au local, sans autre précision, ne sont pas suffisantes et que les termes utilisés dans le courrier ne permettent pas de savoir si la demande est fondée sur une modification des conditions économiques générales de la Principauté ou sur les conditions particulières affectant le local.
Elle considère que la demanderesse opère une confusion entre les critères alternatifs de modification des conditions économiques générales et des conditions particulières affectant le fond.
Elle fait valoir en substance que les arguments avancés par la demanderesse ne sont nullement une démonstration d'une modification des conditions générales ou particulières et que la référence aux montant des loyers environnants n'est pas une démonstration de modifications.
Elle relève que le tableau comparatif des prix pratiqués dans le secteur a été établi par la demanderesse et que celle-ci n'est pas en mesure de démontrer la réalité de ses prétention puisqu'elle ne produit aucun bail ou quittances et qu'en outre, il s'agit de données éparses de valeurs locatives qui ne démontrent pas un changement dans les conditions économiques de la Principauté.
Elle considère que les articles de journaux versés ne sont pas non plus la démonstration d'une modification des conditions générales ou particulières et ce d'autant plus qu'ils concernent le prix de vente des murs, notamment dans le secteur d'habitation, et ont été publié près d'un an après que la demande n'ait été introduite.
Elle estime qu'en tout état de cause, l'augmentation des prix de vente de l'immobilier avenue Princesse Grace n'est pas la démonstration d'une modification des conditions générales de la Principauté.
Elle fait valoir que les prix des loyers sur lesquels la demanderesse fonde ses demandes ont été fixés par un membre de sa famille.
Elle considère encore que la demande ne reflète pas la réalité du marché, en ce que le loyer actuel est de 280 euros du m2 par an et que les dernières fixations ont eu lieu aux alentours de 350 euros du m2 par an et donc loin des 823,68 euros du m2 demandés.
Elle fait encore valoir que le quartier n'est pas particulièrement chaland et que l'ouverture de restaurants et établissements nocturnes n'a aucune incidence sur son activité.
Elle rappelle qu'il est de principe que plus un local est petit, plus sa valeur locative du m2 est grande.
Elle estime que la comparaison avec les locaux loués par la SAM D n'est pas pertinente en ce qu'ils sont situés de manière très différente et que la commercialité des locaux loués par la SAM D serait meilleure.
SUR QUOI :
L'article 21 de la loi 490 est rédigé dans ces termes :
Quelle que soit la date du bail écrit ou verbal, intervenu ou à intervenir, nonobstant toute convention contraire et quelles que soient les conditions dans lesquelles le prix a été fixé, celui-ci peut être modifié, tant en hausse qu'en baisse, à la demande d'une partie lorsqu'elle peut justifier que le prix payé ne correspond plus à la valeur locative, telle qu'elle résulte de l'application des dispositions de l'article 6, par suite d'une modification :
- soit dans les conditions économiques générales de la Principauté ;
- soit dans les conditions particulières affectant le fonds.
Cette demande de révision n'est recevable que s'il s'est écoulé trois années au moins depuis la date à laquelle a pris cours le prix précédemment fixé.
Elle est introduite par lettre recommandée avec accusé de réception ou par acte extrajudiciaire, contenant obligatoirement l'énonciation des motifs allégués pour justifier la révision du prix, ainsi que l'indication du nouveau prix proposé.
Aux termes de l'article 22 du même texte, à défaut d'accord dans le mois suivant l'expédition de la lettre recommandée ou de la signification de l'acte extrajudiciaire, il est statué dans les formes prévues au chapitre II du titre premier de la même loi.
Il est donc admis que la recevabilité de l'action ne se limite pas à la saisine de la commission mais s'étend aux termes utilisés dans le courrier prévu par l'article 21 de la loi 490.
Le courrier en date du 14 novembre 2014 est rédigé comme suit :
« Nous vous informons que le bail à loyer n°90911 concernant un ensemble de locaux a usage commercial sis au rez-de-chaussée de l'immeuble « X2 », composé des boutiques numéro quatre, cinq, douze, treize, quatorze, quinze et seize, et d'une partie de la galerie, arrivera à échéance triennale le 14 mai 2015.
Aux termes d'une étude de marché, qui tient compte des conditions économiques générales de la Principauté et plus particulièrement des conditions rattachées à votre local, la valeur locative actuelle des locaux à usage commercial que nous vous louons serait de 712.000,0 € par an (sept cent douze mille euros).
Cependant, eu égard à l'ancienneté et la qualité de nos relations, une remise d'environ 10% vous est accordée et ceci de manière exceptionnelle.
En conséquence, le montant du loyer annuel qui vous sera appliqué à compter du 15 mai 2015 sera de 640.000,00 € par an (six cent quarante mille Euros), hors charges, les autres clauses et conditions du bail demeurant inchangées. »
Il est admis qu'il ne peut être exigé du bailleur qui demande la majoration du prix en cours de bail, au stade de sa lettre recommandée, de justifier du bien fondé de ses prétentions mais uniquement d'énoncer les motifs allégués pour la justifier.
En l'espèce, la SAM A a effectivement indiqué le nouveau prix demandé et évoqué une étude tenant compte des conditions économiques générales de la Principauté et les conditions particulières du local.
Cependant, elle ne mentionne aucune évolution de ces conditions.
En outre, elle vise expressément comme date de départ du nouveau prix du loyer la date de reconduction du bail à l'issue de la période triennale.
Il en résulte que la seule lecture de ce document ne permet pas de déterminer si le bailleur entend proposer un renouvellement à un tarif majoré ou s'il entend modifier le prix du loyer en cours de bail.
Il ne peut donc être considéré que ce courrier respecte les prescriptions de l'article 21 de la loi 490.
Par conséquent, la demande de modification du prix du loyer en cours de bail doit être déclarée irrecevable en l'état.
Il convient de condamner la SAM A aux dépens.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
Déclare la demande de révision du loyer présenté par la SAM A irrecevable ;
Condamne la SAM A aux dépens distraits au profit de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en Chef au vu du tarif applicable ;
Composition🔗
Ainsi jugé et prononcé en audience publique de la Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux, au Palais de Justice à Monaco, le 13 DECEMBRE 2017 par Monsieur Florestan BELLINZONA, Président, Madame Reine VARON, Messieurs Michel MONFORT, Jean-Luc BUGHIN et Georges BRYCH, assesseurs, assistés de Madame Florence TAILLEPIED, Greffier.