Commission arbitrale des loyers commerciaux, 11 octobre 2017, Mme p. ME. c/ La SARL B

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Abstract🔗

Baux commerciaux - Indemnité d'éviction - Évaluation

Résumé🔗

L'indemnité d'éviction est égale à la valeur du fonds de commerce puisque ce dernier a été perdu du fait de l'éviction. Sur la base des chiffres d'affaires réalisés par le preneur, l'indemnité est égale à 3 millions d'euros.


Motifs🔗

COMMISSION ARBITRALE

LOYERS COMMERCIAUX

Dossier n° C2015/000010

JUGEMENT DU 11 OCTOBRE 2017

En la cause de :

  • Mme p. ME., née le 8 juin 1957 à LECCE (Italie), administrateur de société, de nationalité monégasque, demeurant X1 à MONACO, venant aux droits de M. r. ME., né le 19 mars 1921 à GUAGNANO (Italie), de nationalité américaine, demeurant X2 à MONACO, administrateur de sociétés ;

DEMANDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

Propriétaire

Contre :

  • La Société à responsabilité limitée dénommée « B », immatriculée au répertoire du commerce et de l'industrie de la Principauté de Monaco sous le numéro 94S03026, au capital social de 140.000,00 euros, ayant son siège social à Monaco, Résidence « X1 », X1, prise en la personne de son gérant en exercice domicilié audit siège en cette qualité ;

DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Elie COHEN, avocat au barreau de Nice ;

Locataire

LA COMMISSION ARBITRALE DES LOYERS COMMERCIAUX,

Vu le billet d'avis de Maître Patricia REY, avocat-défenseur au nom de p. ME., en date du 24 septembre 2015 ;

Vu les lettres de convocation pour l'audience de conciliation du 21 octobre 2015 adressées en recommandé avec accusé de réception par le greffe le 30 septembre 2015 ;

Vu le procès-verbal de non-conciliation en date du 21 octobre 2015 renvoyant le preneur à assigner le bailleur devant la Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux ;

Vu l'exploit d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, Huissier, en date du 16 novembre 2015 ;

Vu les conclusions de Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de p. ME., en date des 24 février 2016, 30 mars 2016, 15 décembre 2016 et 15 mars 2017 ;

Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de la SARL B, en date des 24 février 2016, 15 juin 2016 et 18 janvier 2017 ;

Ouï Maître Patricia REY, avocat-défenseur, pour p. ME., en ses plaidoiries et conclusions ;

Ouï Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, pour la SARL B, en ses plaidoiries et conclusions ;

CONSIDÉRANT LES FAITS SUIVANTS :

Par acte en date du 27 mai 2015, p. ME. a fait notifier à la SARL B un congé sans offre de renouvellement et avec offre d'indemnité d'éviction à effet au 31 août 2015, concernant un local portant sur les lots 39, 40 et 41 de l'immeuble X1, sis X1.

Elle saisissait la Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux le 24 septembre 2015 aux fins de désignation d'un expert et fixation de l'indemnité d'éviction.

Le 21 octobre, il était constaté qu'aucune conciliation n'était possible entre les parties.

Par exploit en date du 16 novembre 2015, la SARL B a fait assigner p. ME. par-devant la Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux afin de voir fixer l'indemnité d'éviction à la somme de 3.518.000 euros et à titre subsidiaire que soit ordonnée une expertise.

La SARL B fait valoir en premier lieu qu'au début du bail, elle profitait de la jouissance d'une terrasse qu'elle a été contrainte de restituer au bailleur selon arrêt de la Cour de Révision du 26 mars 2015.

Elle fait valoir ensuite que le fonds de commerce, lorsque ses dirigeants actuels ont racheté les parts sociales en octobre 2012, avait alors été valorisé à la somme de 1.428.580 euros et qu'elle a ensuite pu augmenter cette valeur en obtenant des chiffres d'affaires et des résultats nets bien supérieurs.

Elle estime que la valeur du fonds de commerce peut être évaluée à la somme de 3.138.000 euros en utilisant la méthode consistant à prendre en compte le résultat moyen des trois derniers exercices comptables et le multiplier par dix et qu'il convient d'ajouter à cela la perte de marge lors du transfert, les frais de réinstallation, les frais relatifs à l'acquisition d'un nouveau fonds de commerce, le supplément de loyer du au transfert et les autres couts loyaux.

Elle considère que les pièces des débats permettent de constater en premier lieu que la terrasse faisait bien partie du bail, mais qu'en tout état de cause, les bilans versés démontreraient que l'absence de cette terrasse, après sa restitution, n'a pas ralenti son activité ni diminué les bénéfices qui ont au contraire continué d'augmenter.

Elle fait valoir qu'elle n'a pu trouver d'informations sur le prix de cession d'un fonds de commerce équivalent dans les deux années précédant la présente instance et qu'elle n'a pu non plus trouver de local présentant des caractéristiques similaires pour acquérir un autre droit au bail.

p. ME. sollicite que soit ordonnée une mesure d'expertise.

Elle fait valoir que la terrasse n'a jamais été incluse dans le bail.

Elle rappelle qu'il est admis que l'indemnité d'éviction doit réparer le préjudice causé par le défaut de renouvellement et qu'ainsi, en cas de perte du fonds de commerce, la valeur de l'indemnité d'éviction doit se limiter à la valeur du fonds et ne peut inclure de frais de transfert ou d'acquisition d'un autre fonds.

Elle estime que les demandes seraient, outre laconiques, disproportionnées puisqu'elles représentent plus de 10 fois le résultat net moyen et plus de 5 fois le chiffre d'affaires annuel.

Elle rappelle en outre que les bilans versés aux débats tiennent compte de l'exploitation de la terrasse qui a cessé d'être occupée dans le courant de l'année 2015 et considère que la surpression de cette terrasse a nécessairement eu un impact sur les résultats d'un établissement de restauration, de sorte qu'il convient, à tout le moins, de retirer du chiffre d'affaires et des résultats nets la part relative à l'exploitation de la terrasse.

Elle fait valoir que l'exploitation de 2015 a été inférieure à celle de 2014, étant rappelé que c'est en 2015 que l'utilisation de la terrasse a cessé.

Elle considère en outre que la méthode d'évaluation proposée n'est pas conforme aux méthodes classiquement utilisées, notamment en ce que la méthode dite de rentabilité utilise généralement des coefficients très inférieurs à 10 et que la méthode utilisant un pourcentage du chiffre d'affaires retient habituellement pour les restaurants un pourcentage de 50 à 90% du chiffre d'affaires moyen.

SUR QUOI :

Les discussions sur la question de savoir si la terrasse véranda était incluse dans le contrat de bail sont sans objet dans la présente procédure puisqu'il est parfaitement établi que la demanderesse en avait l'usage jusqu'à mi 2015 et l'a perdu, suite à l'arrêt de la Cour de Révision et à l'expulsion qui en a suivi.

Le fait de savoir si les résultats relatifs à l'exploitation stricte de cet édicule doivent être écartés des calculs de l'indemnité d'éviction se pose, que la jouissance en ait été prévue par le bail ou non.

Si le bailleur n'a pas formulé de proposition d'indemnité d'éviction et maintient une seule demande d'expertise, elle a eu tout loisir de faire des observations sur le mode de calcul et l'assiette dudit calcul.

Elle a d'ailleurs émis des critiques sur les coefficients utilisés dans le calcul proposé par la demanderesse tout en indiquant quels coefficients devraient normalement être utilisés.

Il est donc indéniable que le calcul proposé par la demanderesse est un mode de calcul admissible pour fixer le montant de la valeur d'un fonds de commerce et que les parties se sont exprimées dessus.

En outre, il est versé aux débats les éléments suffisants pour apprécier la pertinence du calcul proposé, la situation du fonds de commerce et les possibilités éventuelles de transfert du fond.

Le recours à une expertise est donc superfétatoire en ce que la Commission dispose de l'ensemble des éléments lui permettant de fixer le montant de l'indemnité d'éviction.

Il convient donc de débouter p. ME. de sa demande de désignation d'un expert.

Il résulte des bilans versés aux débats que depuis de nombreuses années, le chiffre d'affaires et le résultat net ont été en constante progression, avec un résultat net en 2012 de 210.065,44 euros, une progression jusqu'en 2014 avec un résultat net de 441.078,88 euros et une légère baisse en 2015, malgré un chiffre d'affaires supérieur, avec un résultat net de 422.378,56 euros.

L'absence de la terrasse a donc eu des conséquences limitées sur la rentabilité du fonds de commerce.

Il est constant que si le bail avait été renouvelé, le preneur aurait bénéficié d'un renouvellement pour une période de 9 années durant lesquelles il aurait bénéficié d'un résultat net s'approchant des derniers résultats, tout en pondérant ces chiffres par rapport à la perte de la jouissance de la terrasse.

Il convient également de pondérer ce calcul en prenant en compte les aléas du commerce qui font fluctuer les résultats nets de chaque année.

Ainsi, il convient de fixer la valeur du fonds de commerce à la somme de 3.000.000 euros.

Il est établi qu'il est, à l'heure actuelle, quasiment impossible de retrouver en Principauté de Monaco un fonds de commerce équivalent en termes de taille, vue et facilités d'exploitation.

Il convient donc de considérer que le fonds de commerce est perdu pour le preneur, de sorte qu'il convient de l'indemniser de la valeur du fonds.

L'indemnité d'éviction devant se rapprocher au plus du préjudice réellement subi, la valeur d'un fonds de commerce perdu ne saurait se voir additionnée au coût d'une réinstallation ou d'un transfert d'activité.

Par conséquent, il n'y a pas lieu d'ajouter à ce montant ma perte de marge lors du transfert, les frais de réinstallation, les frais d'acte et d'acquisition d'un nouveau fonds de commerce ou un supplément de loyer dû au transfert.

Il résulte de l'ensemble de ces considérations qu'il convient de fixer le montant de l'indemnité d'éviction à la somme de 3.000.000 euros et condamner p. ME. à verser cette somme à la SARL B.

Il convient en outre de condamner p. ME. aux dépens.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Condamne p. ME. à verser à la SARL B la somme de 3.000.000 euros à titre d'indemnité d'éviction ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne p. ME. aux dépens distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en Chef au vu du tarif applicable ;

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé en audience publique de la Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux, au Palais de Justice à Monaco, le 11 OCTOBRE 2017 par Monsieur Florestan BELLINZONA, Président, Madame Reine VARON, Messieurs Michel MONFORT, Jean-Luc BUGHIN et Georges BRYCH, assesseurs, assistés de Madame Emmanuelle PHILIBERT, Greffier.

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