Commission arbitrale des loyers commerciaux, 24 février 2016, Mme Santa ZA. et autres c/ Mme m. IB. Y CA. divorcée BE.

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Abstract🔗

Baux commerciaux - Révision du loyer - Article 21 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948 - Bien-fondé de la demande (oui) - Date d'effet du loyer révisé

Résumé🔗

La demande de révision du loyer, fondée sur l'article 21 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948, doit être accueillie. En effet, le prix du loyer a été fixé en 1988 et n'a plus évolué depuis alors que les conditions économiques de la Principauté ont largement évolué depuis cette date ainsi que le démontre l'augmentation globale des prix de l'immobilier en Principauté. S'il est possible à la commission de fixer un nouveau loyer à compter de la date de la demande d'augmentation de loyer, aucun texte de loi ne permet de faire remonter la demande au-delà. Le loyer révisé est donc applicable à compter de la date de la demande formée par les bailleurs.


Motifs🔗

COMMISSION ARBITRALE DES LOYERS COMMERCIAUX

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n° C2014/000008

JUGEMENT DU 24 FÉVRIER 2016

En la cause de :

  • Mme Santa ZA., domiciliée X à Caltagirone (Italie),

  • Mme Lucia ZA., domiciliée X à Caltagirone (Italie),

  • M. Salvatore ZA., domicilié X à Caltagirone (Italie),

  • Mme Francesca ZA., domiciliée X à Caltagirone (Italie),

  • Mme Giuseppa MO. née SP., domicilié X à Priolo Gargallo (Italie),

  • M. Vincenzo SP., domicilié X à Priolo Gargallo (Italie),

  • Mme Agata MO., domiciliée X à Priolo Gargallo (Italie),

Venant aux droits de M. Francesco SP., décédé le 8 mars 1990 à Monaco ;

DEMANDEURS, ayant élu domicile en l'étude de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Sarah FILIPPI, avocat en cette même Cour ;

d'une part,

Contre :

  • - Mme m. IB. Y CA. divorcée BE., née le 2 septembre 1962 à Gandia (Espagne), de nationalité espagnole, négociatrice en immobilier, exploitant le fonds de commerce situé X à Monaco ;

DÉFENDERESSE, ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

LA COMMISSION ARBITRALE DES LOYERS COMMERCIAUX,

Vu la requête de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur pour Santa ZA., Lucia ZA., Salvatore ZA., Francesca ZA., Giuseppa MO. née SP., Vincenzo SP. et Agata MO. venant aux droits de Francesco SP., en date du 13 mars 2014, enrôlé au Greffe sous le numéro C2014/000008 ;

Vu les lettres de convocation pour l'audience de conciliation du 30 avril 2014, adressées en recommandé avec accusé de réception par le greffe le 20 mars 2014 ;

Vu le procès-verbal de non-conciliation en date du 30 avril 2014 renvoyant les parties à l'audience de la Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux du 28 mai 2014;

Vu les lettres de convocation adressées en recommandé avec accusé de réception par le Greffe le 30 avril 2014 ;

Vu les conclusions de Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur pour Santa ZA., Lucia ZA., Salvatore ZA., Francesca ZA., Giuseppa MO. née SP., Vincenzo SP. et Agata MO. venant aux droits de Francesco SP., demandeurs, en date des 2 juillet 2014, 21 janvier 2015 et 23 juin 2015 ;

Vu les conclusions de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur pour m. IB. Y CA. divorcée BE., défenderesse, en date des 15 octobre 2014 et 20 mars 2015 ;

Ouï, Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur pour Santa ZA., Lucia ZA., Salvatore ZA., Francesca ZA., Giuseppa MO. née SP., Vincenzo SP. et Agata MO. venant aux droits de Francesco SP., demandeurs ;

Ouï Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur pour m. IB. Y CA. divorcée BE., défenderesse ;

CONSIDÉRANT LES FAITS SUIVANTS :

Par acte passé en 1987, Francesco SP. a donné à bail à Madame CH. un local sis résidence Y, bloc A, X, composé d'une pièce principale d'environ 30 m2 et d'un WC, moyennant un loyer de 24.000 francs par an, indexé au coût de la construction.

Francesco SP. décédait le 18 mars 1990, laissant ses sœurs Luisa et Grazia SP. comme héritières.

Elles décédaient respectivement les 16 mars 1994 et 15 avril 1999, les requérants devenant par là même propriétaires indivis du local.

Par acte du 1er mars 1998, le bail était cédé à Didier VI., puis son ayant droit le cédait à Marie ZO. le 4 septembre 2007, laquelle le cédait à m. IB. Y CA. par acte du 1er mars 2010.

Le loyer n'a jamais été réévalué ni indexé.

Par acte en date du 18 mars 2014, les demandeurs ont saisi la présente juridiction afin de faire fixer le loyer à la somme de 24.000 euros par an à compter du 1er mars 2010.

Ils font valoir à l'appui de leur demande que la situation du local a changé et que si le lycée technique a été délocalisé, une nouvelle construction vient d'être terminée à proximité directe en la tour Odéon qui héberge appartements et bureaux et qu'ainsi le secteur est actuellement en pleine expansion.

Ils estiment en outre également que depuis 1988, la situation économique a grandement évolué, tels que le démontrent les prix actuellement pratiqués dans l'immobilier.

Ils font valoir que d'ailleurs, la location-gérance mise en place sans qu'ils n'en soient informés rapporte une somme huit fois supérieure aux loyers acquittés.

Ils reprochent à la preneuse d'avoir manqué de transparence en ne les prévenant pas et en ne communiquant pas, malgré les demandes, les contrats successifs de location-gérance et que si elle déclare que son dernier gérant aurait résilié son contrat de manière anticipée faute de clientèle et qu'en conséquence elle aurait repris l'exploitation du local, elle n'apporte aucun élément pour démontrer cette déclaration.

Ils déclarent qu'il résulte de la lecture du dernier contrat, finalement produit, que la redevance est bien liée directement au montant du loyer puisqu'il y était prévu une clause d'augmentation dans le cas où la CALC fixerait un loyer supérieur à 500 euros par mois.

Ils estiment que la valeur du bien et donc sa valeur locative sont démontrées par les pièces versées aux débats.

Ils considèrent être fondés à solliciter l'augmentation du loyer de manière rétroactive en ce que les redevances perçues à hauteur de huit fois le montant du loyer le sont depuis mars 2010.

En réponse, m. IB. Y CA. demande à la commission de débouter la hoirie SP. ZA. de ses demandes et à titre subsidiaire de dire que le montant révisé du loyer ne peut avoir d'effet rétroactif au-delà de la date d'introduction de l'instance, soit donc le 30 avril 2014.

Elle fait valoir à l'appui de ses demandes en premier lieu que la mise en location gérance n'est pas soumise à autorisation du propriétaire et qu'elle n'avait donc pas à les informer de cela.

Elle estime qu'il n'est pas démontré que les conditions affectant le fonds auraient évolué favorablement et qu'au contraire, la délocalisation du lycée technique et le chantier de la tour Odéon sont une évolution défavorable.

Elle considère que la demande doit être appréciée à la date d'introduction et donc avant livraison de ladite tour.

Elle indique que le local ne serait ouvert que le midi, faute de clientèle le soir.

Elle relève que les demandeurs ne produisent qu'une évaluation de la valeur du fond et non de sa valeur locative et que l'agence mandatée a noté que la rentabilité du bien était très faible.

Elle estime que le montant du loyer ne peut en aucun cas être calqué sur le montant de la redevance de gérance puisque le fondement même des deux relations contractuelles est radicalement différent.

Elle déclare que lorsqu'elle a exploité le fonds de commerce personnellement, elle en retirait un chiffre d'affaires mensuel, et que depuis le 1er septembre 2014, le local est à nouveau en gérance pour une redevance de 1.000 euros par mois, que malgré cette faible redevance, le commerce est déficitaire et que l'augmentation sollicitée le rendrait totalement inexploitable.

Elle fait en outre valoir que le caractère rétroactif du montant révisé du loyer ne peut remonter au-delà de la date d'introduction de l'instance puisque c'est à cette date que la commission doit apprécier la demande et qu'il appartenait le cas échéant aux demandeurs de la saisir plus tôt.

SUR QUOI :

Aux termes de l'article 21 de la loi 490, quelle que soit la date du bail intervenu ou à intervenir et quelles que soient les conditions dans lesquelles le prix a été fixé, celui-ci peut être modifié, tant en hausse qu'en baisse, à la demande d'une partie lorsqu'elle peut justifier que le prix payé ne correspond plus à la valeur locative, telle qu'elle résulte de l'application des dispositions de l'article 6, par suite d'une modification soit dans les conditions économiques générales de la Principauté, soit dans les conditions particulières affectant le fonds.

Aux termes de l'article 6 de la même loi, le prix de location ne peut être inférieur à la valeur des locaux évalués en fonction de l'étendue, la situation, le confort, les aménagements et les facilités d'exploitation qu'il présente.

Il est constant que le prix du loyer a été fixé en 1988 et n'a plus évolué depuis.

Il est également constant que les conditions économiques de la Principauté ont largement évolué depuis cette date ainsi que le démontre l'augmentation globale des prix de l'immobilier en Principauté.

Il ne peut donc être sérieusement soutenu que les conditions de l'article 21 ne seraient pas remplies.

D'ailleurs, la défenderesse ne soutient pas que les conditions économiques n'auraient pas changé mais uniquement que le fonds n'a pas connu d'évolution favorable.

L'article 21 de la loi 490 ne prévoit pas de caractère cumulatif à ces deux possibilités de révision du prix mais au contraire un caractère alternatif, de sorte que la demande de nouvelle évaluation est recevable dès lors que les conditions économiques ont évolué.

Il est constant que les locaux loués ont une superficie d'environ 30m2 outre un WC, et non une cave comme indiqué dans l'évaluation versée aux débats.

Ils sont situés à proximité de l'ancien lycée technique et du Collège Charles III, ainsi que de la Tour Odéon, encore en construction lors de l'introduction de la présente instance et livrée depuis.

Il est indéniable que la clientèle principale du commerce exploité en ces locaux est celle des étudiants suivant des cours dans les établissements scolaires précités.

Il est également constant que dans le courant de l'année scolaire 2012-2013, le lycée technique a été délocalisé pour être placé dans le quartier de la Condamine, ce qui a nécessairement réduit la clientèle potentielle.

Cependant, la défenderesse oublie de mentionner que le collège et le lycée de l'établissement Saint François d'Assisse-Nicolas Barré se sont installés dans les locaux précédemment occupés par le lycée technique, et ce dès la rentrée 2013, de sorte qu'au moment de l'introduction de l'instance, la clientèle potentielle était revenue à son maximum et que la perte n'a duré que quelques mois.

Par conséquent, il ne peut sérieusement être soutenu que le déplacement du lycée technique serait une modification des conditions d'exploitation du fonds.

Le fait que la clientèle soit faible le soir, n'est pas non plus un élément nouveau.

Il résulte de ces considérations que les conditions particulières du fonds n'ont pas été modifiées de ce point de vue.

La proximité de la Tour Odéon a apporté une clientèle potentielle avec les ouvriers qui y travaillaient et, après livraison et installation, apportera la présence de nombreux habitants et de personnes travaillant dans les bureaux.

De même, ce projet a notablement dynamisé le quartier.

Cependant, les effets de cette nouvelle dynamique ne sont pas, pour l'heure, suffisamment sensibles pour considérer qu'ils vont nécessairement apporter une amélioration des conditions d'exploitation et un achalandage plus important au local litigieux.

Il n'est pas contesté que le local se trouve en bon état et il n'est pas allégué qu'il souffrirait de l'absence de certains aménagements ou éléments de conforts qui viendraient en limiter les facilités d'exploitation.

Par conséquent, il n'est nullement démontré que les conditions propres au local auraient évolué de manière négative comme le soutien la défenderesse.

Il résulte de l'ensemble de ces considérations qu'il convient de réévaluer le montant du loyer annuel du fait de l'évolution des conditions économiques de la Principauté.

Il n'est pas contesté que la défenderesse ait mis le local en location-gérance depuis 2010, avec une interruption entre 2012 et 2014, et en ait, au moins jusqu'en 2012, retiré une redevance d'environ 2.000 euros par mois.

Cela fait cependant présumer que les locataires-gérants successifs, dont il n'est pas contesté qu'ils ont versé des redevances de cet ordre, ont réussi à exploiter le local dans des conditions leur permettant de rentabiliser leur exploitation malgré ce prix élevé par rapport au loyer versé par la défenderesse.

Cependant, le bénéfice retiré par la défenderesse, quel qu'en soit le montant, ne peut servir de base de calcul au montant du loyer puisque celui-ci doit être fixé conformément aux dispositions de l'article 6 de la loi 490, lequel ne prend pas en considération les résultats d'exploitation d'un local.

Ainsi, au vu de l'ensemble de ces considérations et des éléments versés aux débats, il convient de fixer le nouveau montant du loyer à la somme de 18.000 euros par an.

S'il est possible à la commission de fixer un nouveau loyer à compter de la date de la demande d'augmentation de loyer aucun texte de loi ne permet de faire remonter la demande au delà.

D'ailleurs, cela irait à l'encontre du principe de sécurité du droit.

S'il serait éventuellement loisible aux demandeurs de saisir les juridictions de droit commun pour obtenir paiement des sommes dues au titre des loyers telles qu'elles auraient dû être versées avec les majorations automatiques contractuelles calculées en fonction de l'indice du coût de la construction, et dans la limite de la prescription de l'article 2092 du Code civil, cela ne relève pas des pouvoirs de la Commission arbitrale des loyers commerciaux et ne fait pas partie des demandes formulées.

Cette demande de rétroactivité n'est d'ailleurs pas motivée en droit et n'est argumentée que sur le fait que les redevances perçues depuis 2010 étaient supérieures aux loyers versés.

Il convient donc de dire que le nouveau montant du loyer sera dû à compter du 30 avril 2014, date de la demande formulée devant la présente juridiction.

Il convient de condamner m. IB. Y CA. aux frais.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COMMISSION ARBITRALE DES LOYERS COMMERCIAUX,

Statuant publiquement par jugement contradictoire,

Fixe à la somme annuelle de 18.000 euros hors charge, à compter du 30 avril 2014, la valeur locative du bien sis résidence Y, bloc A, X à MONACO, donné à bail par la hoirie ZA. SP. à m. IB. Y CA. ;

Condamne m. IB. Y CA. aux dépens distraits au profit de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en Chef au vu du tarif applicable ;

Composition🔗

Ainsi jugé par Monsieur Florestan BELLINZONA, Président, Messieurs Jean-Claude GUILLAUME, Jean-Luc CLAMOU, Michel MONFORT et Jean-Luc BUGHIN, assesseurs, et prononcé en audience publique de la Commission Arbitrale des Loyers Commerciaux, au Palais de Justice à Monaco le 24 FÉVRIER 2016 par Monsieur Florestan BELLINZONA, Président, Messieurs Jean-Claude GUILLAUME, Jean-Luc CLAMOU et Jean-Luc BUGHIN, assesseurs, assistés de Madame Emmanuelle PHILIBERT, Greffier stagiaire.

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